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Etienne Le Roux : « Je veux rester avec mon dessin à hauteur d’hommes. »

C’est une aventure de longue haleine, dix albums sur cinq ans, de 2014 à 2018, qui collent, cent après, aux quatre ans de la Grande Guerre. Eric Corbeyran et le dessinateur Etienne Le Roux retracent l’odyssée tragique d’une poignée de jeunes soldats anonymes embarqués dans ce qui va devenir une boucherie à l’échelle mondiale. Le Petit Soldat est le premier tome de 14-18 chez Delcourt. Etienne Le Roux dont la force du dessin est l’un des atouts de la saga a répondu aux questions de culturebd.

En temps réel, cent ans après…

Quelle a été la genèse de la série ?

Nous avions déjà travaillé avec Corbeyran, il y a plusieurs années sur Le Zodiaque. Comme nous nous entendons bien, on a réfléchi à un projet plus ambitieux. On est donc parti sur l’histoire de ces huit Français, dans un petit village qui, du jour au lendemain, partent au front, à la guerre, laissent tout. Et en parallèle on raconte aussi la vie de leurs fiancées, de leurs femmes, à l’arrière.

Dix albums, c’est un projet de poids!?

Effectivement, on s’engageait sur dix albums avec l’appui de Delcourt. Pour y arriver, il fallait mettre au point une façon de réaliser le dessin plus coopérative. Je travaille dans un mini-studio avec Loïc Chevallier et Jérôme Brizard que j’ai connu comme élèves. Ils font les décors et les couleurs de mes planches.

Eric Corbeyran me livre le scénario complet de chaque album. Nous en sommes déjà au début de la réalisation du quatrième. Cette organisation permet de faire un album en quelques mois sinon ce serait impossible. On essaye de s’épater mutuellement ce qui provoque une excellente émulation !

Le rythme de sortie est de deux albums par an, qui correspondent en fait à la réalité et aux grands évènements de chaque année de la guerre. On est en temps réel, cent ans après.

Le premier tome, Le Petit Soldat, commence par la fin, l’année 1919, avec l’un des héros défiguré, Louis, une « gueule cassée » comme on dira plus tard. On revient avec lui sur le début de la guerre ?

Oui. Ces hommes n’étaient pas des héros. On remonte la piste avec Louis. Ce sont de jeunes Français qui vont à la fête du village en plein été et qui se retrouvent deux jours plus tard la fleur au fusil direction le front. Dans d’autres albums, on procède de la même façon. On commence par le futur d’un personnage et on revient sur son passé.

Comment avez-vous choisi et créé vos personnages ?

Eric en a fait une description, un topo, que j’ai matérialisé par une sorte de dessin photo de famille qui est en deuxième de couverture dans l’album. On leur a donné des noms. Il a écrit une petite fiche sur chaque homme. Les femmes aussi car on les retrouve tout au long des albums. Il aurait été très difficile de ne faire que des albums se passant au front, dans les tranchées. Il y aurait trop d’immobilisme. On voulait embrasser la société de l’époque, ce que nous aurions vécu finalement si nous avions été des contemporains de 1914.

Ces soldats sont novices par rapport aux militaires de carrière qui n’ont pas, par contre, encore compris que la guerre a changé avec les armes modernes ?

En général, ce sont les gradés subalternes que n’aimaient pas les soldats car ils étaient porteurs d’ordre et les faisaient exécuter, tout en étant plus professionnels. Ce qu’on montre dans le premier combat des huit hommes. Pour les lieutenants et les capitaines, c’était différent. Il y a eu une telle hémorragie d’officiers qu’ils étaient remplacés souvent.

Raconter la Grande Guerre sans esbroufe

Côté documentation, des difficultés ?

Pas vraiment. Une peut-être, trouver des photos des lieux avant les combats comme par exemple le fort de Douaumont que l’on montre toujours écrasé d’obus et jamais intact. Sinon il y a tellement de blogs et de sites sur le sujet, de photos prises dans les tranchées sur le net que l’on n’a que l’embarras du choix.

Vous vous êtes engagé dans une belle course de fond ?

Le mot est juste. Mais c’est très agréable, un vrai challenge. Cela permet de se familiariser avec les personnages, qu’on apprend à maîtriser, on a le temps de s’installer tout en alternant aussi avec d’autres projets.

Lesquels ?

J’ai signé chez Ankama deux albums dont le premier a paru en juin dans la collection Stefan Wul dirigée par Olivier Vatine : Le Temple du passé avec Hubert au scénario. Cela m’aurait semblé de toute façon difficile de rester cinq ans sur le seul sujet 14-18.

En quatre ans de guerre vos huit soldats vont avoir des destins plus ou moins heureux ?

Oui, bien sûr, la guerre ne va pas les épargner et il y aura, comme cela a été vraiment le cas dans les tranchées, des renouvellements de personnages. Au départ, ils sont huit du même village. Après selon les pertes, on regroupait les survivants. On parle aussi de ce qui se passe à l’arrière du front, ce qui n’a pas été facile. On montre les permissions qui se passaient mal parfois car les soldats arrivaient chez eux avec leur rage, leur violence du front dont ils avaient du mal à se débarrasser.

Vous connaissiez bien la guerre de 14 ?

Non, je n’étais pas un spécialiste du sujet tout en étant passionné d’Histoire. Mes grands-pères avaient fait 14 et avaient beaucoup de mal à en parler. J’ai fait confiance à Eric Corbeyran pour toute la partie historique qu’il maîtrise bien. J’ai évité de lire des BD récentes sur 14. Par contre j’ai lu des classiques comme Le Feu de Barbusse.

Un de vos personnages est un dessinateur. Les sanguines, les portraits qu’il fait sont superbes. Vous êtes un dessinateur qui en fait dessiner un autre ?

Oui, et je le fais évoluer pour l’amener, petit à petit, vers l’art moderne. Il y a eu des carnets de croquis fantastiques faits dans les tranchées. On pourrait presque rassembler ces dessins dans un album spécial ! Le projet global de cette série oblige à relever toutes sortes de défis. C’est le côté amusant de ce métier.

J’ai pris de la distance. Quand j’ai fait chez Dargaud un épisode de WW 2.2 qui se passait pendant la guerre contre le Japon, je compatissais mais je ne m’identifiais pas. J’ai évolué avec un dessin plus rond pour 14-18, plus généreux. Il fallait qu’on y croie. Pas d’esbroufe, je reste à hauteur d’Hommes. Eric connaît bien les mécanismes des éléments romanesques ou feuilletonesques qu’il utilise. On a vraiment formé un très bon duo et on a pris beaucoup de plaisir à cette série pour laquelle Delcourt a joué le jeu totalement.

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