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Des Poupées russes aux Géants

Petit est le dernier fils du Roi-Ogre… Mais il n’est pas plus grand qu’un humain. Marqué du sceau de la dégénérescence de sa lignée, dont chaque génération de géant est plus petite que la précédente, Petit sera rejeté par sa famille et caché par sa mère. Hubert Boulard et Bertrand Gatignol reviennent sur l’origine de cet univers noir à l’ambiance étrangement envoûtante...

« L’impression d’être à poil »

Quelle a été la genèse du projet ?

Hubert : Il y avait d’abord une envie d’écrire quelque chose de nouveau dans l’univers du conte gothique, un genre que j’ai beaucoup lu quand j’avais une vingtaine d’années et auquel se réfèrent mes premiers albums, Les Yeux Verts et Le Leg de l’Alchimiste par exemple. Il y a aussi un aspect plus personnel : suite à la maladie de l’un de mes parents, des secrets de famille sont remontés. J’ai donc appris beaucoup d’explications de névroses sur lesquels je m’étais interrogé en vain pendant des années pour découvrir que finalement ces névroses, ces traits étaient issus de ma famille.

J’avais le sentiment de n’être qu’une petite poupée russe au milieu d’un vaste empilement. Finalement, est-ce que j’existe en tant que personne dotée d’un libre arbitre ou est-ce que je ne suis que le produit de déterminismes ? C’était très flippant ! À partir de là, le projet a avancé très vite. En une nuit d’insomnie, plein d’idées ont émergé ! À ce moment là, j’emménageais dans un nouvel atelier où travaillait déjà Bertrand. On a commencé à échanger autour de cette histoire qui a commencé à prendre sa forme finale.

Comment avez-vous travaillé les géants visuellement ?

Bertrand Gatignol : C’est venu assez naturellement. On s’est inspiré de portraits et gravures de familles royales existantes pour créer les géants. On est allés piocher dans un champ lexical graphique très connu et très référencé.

Hubert : Bertrand a eu une démarche presque scientifique pour travailler leurs morphologies. Il a travaillé à partir de photos de « géants » humains ayant existé, il les analysait et les redessinait pour trouver les traits de caractère, les rapports entre les éléments du visage, bref, ce qui faisait géant ou non sur un visage !

Bertrand : C’est de la schématisation anthropomorphique, de la caricature en fait !

La narration graphique de ce livre est aussi très précise…

Bertrand : L’idée était d’incarner au maximum l’histoire, et c’est typiquement le genre de scénario qui m’intéresse ! Il y a une vraie folie, une vraie nécessité dans cette histoire dans laquelle je me reconnais. Du coup, j’ai donc assumé la mise en scène pour essayer d’incarner au mieux et de sublimer les idées d’Hubert. Au final d’ailleurs, j’ai découpé plus de pages qu’Hubert en avait écrites !

Hubert : C’est vrai que j’ai tendance à écrire de façon très synthétique quand je gère le découpage, alors que Bertrand a une approche plus cinématographique, une spécialité pour jouer sur les petits moments !

Bertrand : C’est vrai que j’ai pris ton scénario comme un scénario de cinéma, une indication de temps et d’échelle sur laquelle je greffe mon point de vue, en étirant parfois des scènes pour les rendre plus vivantes. Les changements d’échelles entre les géants me donnaient une gradation dont j’avais besoin pour rendre le sentiment de vertige que j’avais eu à la lecture du scénario. Cet aspect poupées russes est venu très naturellement : j’ai suivi le fil directeur d’Hubert et je l’ai amplifié.

Hubert : Et justement, ça a été une des discussions d’origine ! Au début, Bertrand voulait même enlever la narration textuelle des contes d’interlude, mais on s’est vite rendu compte qu’on avait presque 600 pages de story-board ! D’où l’idée des contes illustrés.

Bertrand : Et je tire mon chapeau à Hubert pour avoir eu le courage de se frotter à cet exercice! Un scénario de BD se résume à la fin à des dialogues, et là il a eu le courage d’affronter l’épreuve de la prose, ce n’est pas donné à tout le monde !

Hubert : J’avais un peu l’impression d’être à poil, mais je suis vraiment un amoureux de littérature et j’aime bien écrire des nouvelles pour m’amuser. Ce n’est pas une tentation de romancier frustré, au contraire, je voulais m’essayer à l’exercice sans trop savoir où cela allait me mener.

Une scène et ses acteurs

Comment avez-vous intégré ces contes à la BD ?

Hubert : Il ne fallait jamais lâcher l’axe du récit et les faire arriver à des moments naturels, où des éléments de la vie présente de Petit ont besoin d’être éclairés par des instants passés. Souvent, c’est sa mère ou sa grand-tante Desdée qui répond à une question, ce qui permet de les faire passer relativement naturellement dans le récit.

Quelles techniques de dessin avez-vous utilisées ?

Bertrand : Tout est d’abord dessiné au crayon, scanné puis encré. Ensuite les zones de noir sont remplies puis utilisées en sélection pour passer le trait en négatif. Le procédé est presque entièrement numérique, avec beaucoup de jeux de calques et de transparence.

À quel moment le noir et blanc s’est-il imposé ?

Bertrand : J’ai tendance à dessiner en noir et blanc naturellement. J’ai un grand amour de la couleur, trop grand même : ça me tétanise souvent d’envisager une planche en couleurs. Finalement j’ai fait les premières pages en noir et blanc et on s’est dit qu’il fallait les laisser comme ça !


Quelles ont été vos sources d’inspiration principales ?

Bertrand : Graphiquement, il y a eu Gustave Doré, les prisons de Piranèse, dans le fond surtout une ambiance particulière qui se rapproche de celle que l’on voulait communiquer.

Hubert : Beaucoup de faits historiques, pour les transformer en une nouvelle mythologie. Le Roi-Dieu par exemple, est évidemment très inspiré de Louis XIV, mais pas que, c’est une sorte de sur-Louis XIV, la mégalomanie incarnée qui a de fait beaucoup de mal à faire face à l’idée de sa propre mortalité.

Comment avez-vous construit le personnage de Petit ?

Hubert : J’écris toujours de la même façon. La première phase, c’est toujours de l’écriture automatique ; en général c’est le matin, je ne suis pas réveillé et je remplis des pages de carnet sans trop y penser. Des personnages naissent, souvent en parlant, des contradictions apparaissent et commencent à les définir. Je regarde si les contradictions créent des choses intéressantes comme sur une scène imaginaire où je fais jouer les personnages.

Bertrand Gatignol : Mon archétype du héros, en BD et en animation a souvent cette tête là. Les design sont pour moi comme des acteurs ! Un physique est un physique et en fonction de la manière dont on le fait jouer on peut créer des choses totalement différentes ! Rien n’empêche que dans de futurs albums, Desdée réapparaisse sous une autre forme !

Hubert : En femme d’affaires impitoyable !

Pour vous, la question du déterminisme est-elle réglée pour Petit à la fin de l’album?

Hubert : Probablement pas, mais est-elle jamais réglée pour quiconque ? Au mieux, on arrive à dépasser cette névrose, mais on restera un ex-névrosé !

Bertrand Gatignol : Et névrosé d’être ex-névrosé !

Hubert : On peut évidemment surmonter un traumatisme d’enfance, ou ses limitations familiales, mais on ne pourra jamais faire comme si elles n’avaient jamais existé.

Pensez-vous revenir un jour à cet univers ?

Hubert : On a effectivement envie de revenir à cet univers : on commence à travailler sur d’autres histoires qu’on pourrait y créer ! On aimerait en dire plus sur le monde au pied du château, sur la capitale de ce royaume isolé, une société qui m’intéresse beaucoup !

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