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Pour une poignée de cadavres…

Les frères Maffre font une incursion dans le western pour en tirer un héros atypique : Stern, le croque-mort. Ce gringalet menait une existence tranquille jusqu’à ce qu’on lui propose de s’improviser légiste… Julien et Frédéric Maffre reviennent sur leur chevauchée fantastique dans l’histoire de l’Amérique.

Un héros trouble

Comment est né ce personnage détonnant dans le western ?

Julien Maffre : De l'imagination de Frédéric. On avait l'intention de travailler ensemble, je lui ai demandé un concept de série à tomes indépendants en parlant de séries comme Soda, le Marquis d'Anaon ou Blacksad. Quand il m'a parlé de Stern, des idées et concepts entourant ce personnage, j'étais emballé.

Frédéric Maffre : Il y avait à la base un très vieux pitch imaginé pendant l’adolescence, qui mettait au premier plan les habituels personnages secondaires du genre, le barman philosophe, la danseuse de saloon, le blanchisseur chinois… Quand Julien m’a demandé de lui proposer un projet, j’ai repensé à cette idée et dans ce groupe une figure a fini par se détacher : le croque-mort. Tout le monde voit qui il est, ce qu’il fait, comment il se situe par rapport aux règles d’un western classique. Et contre toute attente, je crois que le point de départ reste le croque-mort de Lucky Luke, Morris et Goscinny avaient vraiment parfaitement saisi l’essence de cet archétype.

Stern est inspiré d’un de vos anciens scénarios : que contenait la première version?

Frédéric Maffre : La même chose, en moins bien. Quand nous avons proposé cette première mouture les décideurs ont fait preuve d’une certaine curiosité, mais tous nous ont dit qu’en l’état c’était un peu léger. Lenny le clochard était ainsi un simple sidekick de Stern, sans connexion réelle avec le récit, nous en avons fait une figure plus tragique, plus ambiguë, qui a peut-être des choses à se reprocher. Nous avons densifié le récit, approfondi le passé de Stern, nous n’avons pour ainsi dire rien enlevé, seulement enrichi la trame.


L’histoire joue un rôle important dans ce premier volume : comment êtes vous arrivé aux bushwackers ?

Frédéric Maffre : En découvrant, il y a quelques années, Chevauchée avec le diable, un très bon western méconnu d’Ang Lee. C’est un angle de la Guerre de Sécession que l’on a assez peu vu, une logique de guérilla où les civils étaient très durement touchés, du côté nord comme du côté sud, le Massacre restant le pire crime de guerre perpétré pendant le conflit. C’est une histoire qui valait la peine d’être racontée.


Explorerez-vous d’autres pans de l’histoire américaine dans les tomes à venir ?

Frédéric Maffre : Le deuxième tome sera ainsi très différent, dans le cadre comme dans le ton, et ne se basera pas sur un événement historique particulier. Mais pendant ma phase de documentation je suis tombé sur certains événements qui pourraient faire une très bonne base pour un ou plusieurs albums.

De nombreuses références littéraires parsèment cet album : comment se sont-elles mises en place dans l’intrigue ?

Frédéric Maffre : Quand nous avons décidé que Stern serait le contraire d’un pistolero, je me suis inspiré de ma propre condition de cinéphage pour en faire un lecteur compulsif. Cela a posé par extension la question de la place de la Culture à une époque où la vie était rude et où les gens avaient sans doute des problèmes plus pressants que les mérites de Shakespeare ou Jane Austen, ce qui n’empêchait pas le fameux Doc Holliday d’être un vrai érudit. C’est le genre de contraste qui m’intéresse.

Dégainer face aux codes

Le titre de l’album fait référence à Sergio Leone. Qu’est-ce qui vous inspiré en particulier dans son cinéma ?

Frédéric Maffre : Le titre est une idée de Julien, et est venu assez tard dans la création de l’album. Outre la référence claire, il permet de mettre en avant les rapports que vont entretenir ces 3 personnages. Quand à Sergio Leone, il est forcément incontournable. Il est le premier à avoir montré qu’une autre imagerie du western était possible, que l’on pouvait s’amuser avec les attentes, les codes. Avec lui, le western est à la fois devenu un laboratoire et un terrain de jeu.



Votre galerie de personnages est fournie et haute en couleurs : comment est-elle née ?

Frédéric Maffre : Sans trop en révéler, Lenny est inspiré de Paul Wittgenstein, un vétéran de la Première Guerre mondiale revenu manchot du front. Il a néanmoins pu continuer à exercer son métier d’origine avec l’aide de gens comme Maurice Ravel, et fut à ce titre bien plus chanceux que le personnage que j’en ai tiré. Pour les autres protagonistes, c’est surtout une volonté d’éviter la facilité. Je ne voudrais pas forcément prendre un verre avec chacun d’entre eux, mais à tous j’ai voulu laisser une chance d’exprimer leur point de vue. Comme il est dit dans le film La Règle du jeu, « le plus terrible dans ce monde, c’est que chacun a ses raisons ».

Des personnages vous ont-ils donné du fil à retordre ?

Julien Maffre : Stern m'a posé problème pendant longtemps, son visage en particulier. J'ai dû recommencer un paquet de dessins ! C'est un héros très particulier, à tout point de vue. On a défini au préalable une ou deux postures « type » pour chacun des personnages. Stern a les mains dans les poches, le docteur les bras croisés, le clochard utilise beaucoup ses mains, le shérif devient plus agressif quand il porte son chapeau, etc. Ensuite, j'ai été porté par l'écriture très sentie - ça aide beaucoup -, c'est venu plutôt naturellement.

Comment avez-vous fait pour vous approprier des paysages iconiques ?

Julien Maffre : On souhaitait ancrer le premier tome dans un contexte western classique, reconnaissable au premier coup d'œil. On s'est donc inspiré des innombrables westerns disponibles ! Je me suis fait des sessions « captures d'écran » sur des dizaines de films, recherché des photos d'époque, et pas mal joué à Red Dead Redemption. Je pioche à l'envi dans cette banque d'images, selon les besoins. On se détachera de ça dès le second tome, qui sera très urbain. Et nocturne.

Comment composez-vous vos planches aux cases de formats très variés ?

Julien Maffre : Je commence généralement par définir une case directrice : une grande case qui montre le moment clé de la page, ou introduit un nouveau décor, personnage, débute ou conclue une scène. C’est une habitude prise depuis La Banque, merci Pierre Boisserie ! Ensuite, on construit la page selon les besoins : une case en hauteur pour un personnage montant un escalier ou un immeuble de plusieurs de plusieurs étages, une case carrée pour un visage, une case « cinémascope » pour une prairie, etc.


Varier les découpages, le rythme et le format des cases, c'est une des spécificités de la BD que j'aime exploiter. Mais j’adorerais aussi faire du gaufrier ! Ca dépend des projets, j'essaie de m'adapter.

Vos couleurs marquent. De quoi sont nés ces tons particuliers ?

Julien Maffre : D'expérimentations ! C'est une technique mixte, du lavis monochrome sur papier qui est ensuite colorisé numériquement. Rien de révolutionnaire, mais ça m'a permis d'obtenir un rendu plus naturel que du 100 % numérique. J'avais parfois une vision très nette de ce que je souhaitais, par exemple quand Stern découvre le premier mort, Stern dans sa cabane, l'enterrement en fin de journée, la scène de piano, parfois plus floue. Il y a ensuite quelques paramètres à prendre en compte : le cycle jour/nuit, varier les ambiances, donner un « code couleur » à un personnage ou un lieu, et espérer que ce soit harmonieux au final.

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