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Mutafukaz, un OVNI au pays de la BD !

Voilà maintenant dix ans que l’idée loufoque de Mutafukaz a fleuri dans l’esprit de Run. A l’occasion de la sortie du cinquième et dernier tome, l’auteur nous dévoile un peu de son univers et revient sur la création de la série. Un OVNI aux influences street et au graphisme incroyable à mettre entre toutes les mains !

Dix ans d’inspiration

Comment êtes-vous venu à la BD ?

Run : Comme tous les enfants qui n’ont pas voulu grandir ! Petit, je faisais un tas de BD sans queue ni tête, au collège et au lycée, je remplissais mes cahiers de dessins et de strips au bic. Je n’ai paradoxalement fait une pause dans la BD qu’en arrivant aux Beaux-Arts, où j’ai expérimenté un tas de moyens d’expression. Dans mon premier boulot, je m’étais spécialisé dans l’animation flash. Puis naturellement, je suis revenu à la BD.

Mutafukaz est né en 1998 dans votre esprit mais le premier tome n’a été publié qu’en 2005, pourquoi ?

Avec le recul, je peux comprendre les réticences des éditeurs : j’arrivais de nulle part, avec un projet OVNI. Pour réduire encore les chances de me faire publier, je voulais déjà à l’époque faire les choses à ma manière : en terme de format, de pagination, de choix de papier. Bref, j’étais novice et j’avais des exigences de taulier. A l’époque, personne n’a misé sur moi, jusqu’au moment où je suis tombé sur une maison d’édition en devenir : Ankama.

Comment sont nés Vinz et Angelino, vos deux personnages principaux ?

Ils sont nés un soir d’Halloween, en 1997. A l’époque, il n’y avait rien de concret en termes d’histoire ou d’univers. Mais les personnages me sont apparus quasi tel quels avec leur look, leur attitude. Entre octobre et décembre 1997, j’ai commencé à les faire évoluer dans des petites BD underground qui remplissaient mes carnets de croquis. Et l’univers n’a cessé d’évoluer.


Quelles ont été vos premières influences pour la création de Mutafukaz ?

Pour les personnages, Angelino m’est venu des schtroumpfs noirs. Vinz est une résurgence des crânes enflammés de Doom, le jeu vidéo. Mais on me parle souvent, et ce n’était pas une influence directe, du Ghost Rider.

Pour l’histoire, ça m’est venu de lectures de bouquins de Jimmy Gieu. Je lisais ça avec passion mais aussi avec beaucoup de distance, et un tas d’idées me parvenaient.

Puis, pour compléter, de tout un brassage de références, issus de la culture populaire latino, des représentations chrétiennes, de mes cours d’histoire de l’art, des codes du street gang, de la Lucha Libre, etc.

Parlez-nous de la Lucha Ultima, inspirée du catch mexicain la Lucha Libre.

La Lucha Ultima, c’est une fédération de Lucha Libre inventée pour Mutafukaz, dont les lutteurs sont des « guardiens ». J’aime ce mélange de sport, de spectacle, et de spiritualité que les Mexicains donnent à cette discipline. Dans les ghettos au Mexique, les Luchadores ne sont pas seulement vus comme des héros, mais aussi comme de véritables figures saintes.

Et il ne s’agit pas que de spectacle : parfois les catcheurs brisent le quatrième mur et descendent dans les quartiers pour combattre le crime ou la pauvreté ! Mes catcheurs de la Lucha Ultima en sont inspirés. Ils se battent sur un ring pour gagner leur vie et quand le monde a besoin d’eux, ils interviennent.

Quand passion rime avec précision

Graphiquement, chaque tome est une mine d'or : 3D, manga, aquarelle ne sont qu’un petit aperçu. Est-ce ainsi que vous voyez la nouvelle BD franco-belge ?

Il s’agit là de petites expériences graphiques rafraîchissantes mais je ne peux pas prétendre que ça constitue la base d’une nouvelle BD franco-belge. Mon travail est surtout lié à un état d’esprit, à un mélange des genres. Prendre le meilleur du manga, du comics et du franco-belge pour en faire quelque chose de nouveau.

J’essaie toujours de faire en sorte que ces ruptures interviennent à des étapes clés du récit. Quand dans le tome 4, je contrains le lecteur à progressivement retourner le livre, c’est pour souligner le fait qu’Angelino perd le contrôle… Quand il revient à la raison, on remet brutalement le livre à l’endroit, ce qui semble faire chuter ses amis dans la case suivante. Ca m’amuse de jouer avec le lecteur !

On constate un réel travail de documentation tout au long de la série, ponctuée de nombreux textes explicatifs. Pourquoi un tel besoin de précision ?

Parce que je considère qu'une bonne œuvre de fiction s'inscrit dans une réalité concrète. Et ça vaut d'autant plus dans Mutafukaz, où j'emmène parfois le lecteur dans des trucs impossibles. Si le socle n'est pas solide, et bien ancré dans le réel, alors rien de ce que je peux raconter par la suite n'aura de consistance. Du coup, je cherche à être au plus près d'un contexte véritable, pour mieux pouvoir m'en éloigner avec des passages What The Fuck.

Les articles dont j'émaille mes BD sont de deux natures : les textes complètement fictifs, qui ne servent qu'à immerger le lecteur dans le récit, en lui livrant des informations que je ne peux pas traiter dans la BD, et les articles qui se réfèrent directement à une réalité. Là, c'est juste pour donner des clefs de compréhension, une manière de partager mon intérêt  sur un sujet, qui se retrouve en filigrane dans la BD.

Ces nombreuses explications rendent le scénario de Mutafukaz vraisemblable pour le lecteur, à la manière des thèses complotistes…

 Quand j'écris Mutafukaz, je crois en mon invasion extraterrestre, en complicité avec des instances politiques. Pour décrire ça, je dois tout savoir de cette alliance. Depuis quand elle date ? Pourquoi ? Par qui ? Dans ce contexte, qu'est ce qui s'est passé à Roswell ? Qui a tué Kennedy ? Pourquoi ? Je revisite tout à la lumière noire.

Evidemment, quand je dis que j'y crois, ce n’est pas au 1er degré mais je fais en sorte d'expliquer des événements historiques réels avec le prisme de mon scénario. Ca m'amuse et ça donne à réfléchir sur la manipulation de l'information. N'importe qui peut réécrire l'histoire à sa sauce : ce n'est pas compliqué, pour le peu qu'on y mette un peu de cœur et qu'on ait des références scientifiques et historiques correctes.

Il est vrai que c’est exactement la même gymnastique mentale qu'un complotiste. La différence, primordiale, tient au fait que je crée une œuvre de fiction qui se veut cohérente, je ne prétends pas livrer la vérité.

Cette théorie du complot semble d'ailleurs portée par le personnage de l'agent Crocodile qui sombre dans la folie. Comment peut-on l'interpréter ?

Crocodile répond à un concept très simple : un mec déterminé ira toujours plus loin qu'une armée passive. Crocodile a fait de la traque de Vinz et d'Angelino une affaire personnelle. Il aurait pu réussir à les coincer seul, là où tous les hommes en noir avaient échoué. Seulement, il s'est laissé ronger par sa rage, jusqu'à l'aveuglement. Et il en est venu à déclencher des événements qui dépassent de loin sa petite affaire personnelle.

La passion motive, mais elle est aliénante, et finit souvent par nuire. Le personnage a des grosses fissures psychologiques depuis le début et sombre lentement dans une sévère paranoïa. C'est un personnage que j'aime bien, peut-être parce que moi-même je ne suis pas tout à fait clair au niveau psychologique.

Loin du happy end la série se termine avec des personnages revenus à des vies ordinaires, chaotiques pour certains…

Je n'ai jamais vibré devant un happy end, ça m'ennuie. J'ai tenu à écrire cet épilogue parce que malgré tout, les personnages continuent à vivre. Dans la vie réelle, quels que soient les événements, la routine reprend toujours le dessus. L'extraordinaire est exception par définition. Personne ne croit encore aux happy ends, surtout aujourd'hui. Finir par l'ordinaire me paraissait être un juste retour des choses, un respect pour le lecteur et pour mes personnages. Je ne veux les prendre ni les uns ni les autres pour des cons.

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