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Jean-Claude Servais sur les chemins de Compostelle

Après avoir marché entre mythes et légendes, Jean-Claude Servais prend la route de Compostelle. Avec trois personnages partis de trois points différents, il sillonne les routes de France, rendant hommage aux décors et aux récits qui les habitent.

Faire voyager les personnages

Comment a débuté cette série ?

Jean-Claude Servais: Ça fait 35 ans que je travaille sur mon terroir des Ardennes belges, avec ses animaux, sa forêt, ses légendes, donc je savais que je devais aller voir ailleurs, tôt ou tard. C’est mon éditeur, José Louis Bocquet, à qui je me plaignais que mes livres ne soient pas trop présents dans les librairies en France, qui m’a dit «pourquoi tu ne partirais pas sur les chemins de Compostelle, c’est un sujet qui te colle à la peau et qui intéresserait le public français ! »

J’ai relevé le défi ! Surtout qu’une des routes de Compostelle passe dans mon village, que mes personnages sont souvent sur des chemins, sans compter que j’aime beaucoup dessiner des églises, des cathédrales : j’ai envoyé mes personnages en voyage et maintenant je les suis.

Je n’ai pas fait la route moi-même : mon but, c’est que les personnages principaux prennent chacun des chemins différents, pas de raconter une expérience sinon j’aurai fait un carnet de croquis ou un journal de voyage. Mon but était vraiment d’explorer les campagnes françaises!

Comment avez-vous choisis vos trois points de départ ?

Pour me rassurer, j’ai fait passer Blanche, le personnage principal, près de chez moi ! Elle part de la Grand-Place de Bruxelles, un clin d’œil à la Belgique que tout le monde connaît. Je suis aussi parti d’un livre Ardennes et Bretagne sœurs lointaines, écrit par un folkloriste belge et illustré par des artistes bretons et des ardennais : voici pour la Bretagne ! Pour le dernier personnage, il part de Suisse car j’ai découvert au bord du Lac Léman, où j’étais pour une rencontre, un chemin de Compostelle !

Je ne veux pas suivre à la lettre les chemins de Compostelle : je veux surtout faire un voyage à travers la France à la découverte de différents mythes, faits historiques et décors. Mes personnages vont se croiser, l’un après l’autre, avant de se réunir tous les quatre.

Un voyage sous le signe de l’alchimie qui ouvre le premier tome…

J’ai découvert le voyage alchimique sur internet, mais quand on y réfléchit, c’est l’évidence de faire le lien avec Compostelle ! Il y a des symboles alchimiques sur les cathédrales, sur la Grand-Place de Bruxelles, etc. Quand on part sur les chemins de Compostelle, on se remet en question et on veut faire le point sur sa vie, c’est le même effort que celui du grand œuvre alchimique, qui est la recherche de toute une vie.

Le personnage du grand-père alchimiste est un peu étonnant mais il permet vraiment de mettre en lumière toute une partie du parcours, par exemple Rocamadour, haut lieu alchimiste. Je dois jongler avec tout ça pour créer une intrigue.

Le deuxième tome s’ouvre sur le corbeau, mais aussi la mort et l’Ankou…

La mort est là juste avant que la vie reprenne le dessus. Personnage symbolique de la Bretagne, l’Ankou, qui est l’ouvrier de la Mort, me permet de faire le lien entre les récits. Les chemins de Compostelle étaient très dangereux au moyen âge par exemple, on pouvait se faire égorger au détour d’un chemin !

Quelqu’un qui part tout seul sur les chemins a toujours, même aujourd’hui, la crainte de l’inconnu ! On a toujours une petite appréhension lorsqu’on arrive dans un fond de bois un peu sombre…

Cette thématique de la mort et de la peur me permet d’intégrer le tueur en série. Petit à petit, je dispose mes pions, avec des faits historiques, des décors, des ambiances, des croyances pour construire mon récit et monter mon intrigue… Je ne sais pas encore qui est le tueur, j’ai plusieurs possibilités, donc j’attends le quatrième album pour dénouer ce récit. La menace planera tout le long de ce premier cycle !

Les paysages comme récits

Les paysages traversés vous permettent aussi de narrer comment des « héros de la patrie » sont morts comme des rats…

Blanche prend un chemin de Compostelle qui suit plus sur les traces de son grand-père que les officiels de Compostelle. Son passage devant le bunker était l’occasion de dire aussi ma révolte devant ce gâchis, ces morts inutiles dont on a fait des héros. Ça leur fait une belle jambe d’avoir un monument et des commémorations, alors qu’ils auraient pu être sauvés si l’ordre donné n’était pas celui de mourir avec la ligne de défense ! Morts asphyxiés comme des rats pour la patrie, c’est absurde !

Comment travaillez-vous pour conjuguer fiction et documentaire ?

Dans un premier temps, je travaille de manière documentaire. Je rassemble les documents, je vais sur place, je prends des photos, je redécouvre des choses et ensuite je crée l’intrigue en fonction. Ce que j’espère c’est qu’on pourra prendre tel ou tel album pour visiter une région.

Une nouvelle fois, vous placez la femme comme personnage principal de vos histoires.

Dans tous mes albums, ce sont toujours les femmes au centre et les hommes se retrouvent être des faire-valoir. Je me sens beaucoup plus à l’aise en racontant des histoires avec des femmes qui partent à l’aventure.

Graphiquement, j’y trouve aussi plus de plaisir à dessiner. Surtout qu’en tant qu’homme, je trouve l’homme plus facile à deviner que les femmes, donc le mystère est du côté des femmes pour moi !

Comment avez-vous adapté votre dessin à ce périple ?

Depuis quelques années, je travaille au crayon et la couleur est à l’ordinateur, ajoutée par Raives. Les deux fictions autour de l’Abbaye d’Orval et de Godeffroy de Bouillon mêlaient déjà de l’ancien et du nouveau. Ces deux séries m’ont préparé : si je ne les avais pas faites avant, je n’aurais pas eu assez d’expérience pour aller sur les chemins de Compostelle et visiter la France comme je l’ai fait.

J’aime quand on part sur les chemins, hors du temps, quand seuls l’habillement ou une voiture qui passe nous situent au niveau date. Finalement la marche permet de rejoindre plein d’époques, on hume les vieilles pierres comme si c’était moi ou le lecteur qui partait…

Vous avez pioché dans de nombreux mythes et légendes bretons, comment avez-vous choisi ?

Le livre La Bretagne mystérieuse m’a permis de piocher dans un éventail de tous les grands mythes bretons liés à la terre. Je n’ai pas trop choisi de légendes liées à la mer sinon je partais dans tous les sens. J’ai dû faire des choix par rapport au tracé de mes personnages et des thèmes incontournables… J’ai même « triché » pour qu’ils passent en Brocéliande : il me fallait un tentateur qui dévie la novice sur des chemins mystérieux, le duo parfait pour la forêt de Brocéliande…

Combien de cycles y aura-t-il en tout ?

Avec mon 1er cycle, je veux arriver à Tours, un des quatre chemins principaux. Pour le deuxième cycle, j’aimerais faire un album par chemin principal et surtout qu’ils soient indépendants les uns des autres pour qu’on puisse le lire seul ou non… Après tout le monde se rejoindra pour la traversée des Pyrénées et la traversée de l’Espagne au moins en deux tomes, donc je suis parti pour un petit bout de temps encore ! Je suis parti pour 10 ans au moins ! Le fil rouge restera Blanche sur les traces de son grand-père, même si ce n’est qu’un fil ténu.

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