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Un Voyage pour une renaissance

Après l’adaptation filmique de son œuvre Couleur de Peau : miel, l’auteur Jung publie ce mois-ci Le voyage de Phoenix. Ce nouveau roman graphique en noir et blanc évoque plusieurs vies liées à l’histoire récente de la Corée. On y rencontre tour à tour Jennifer, venue à Séoul retrouver son père, Aron, le père adoptif d’un enfant coréen, San-Ho, le rescapé des camps du nord… Au fil des pages, leurs destins se croisent, se mêlant à l’envol du Phoenix : Jung nous raconte comment il a composé ce canevas de vies.

Le Phoenix et la re-naissance

Avez-vous conçu Le voyage de Phoenix comme une prolongation de Couleur de Peau : miel ?

Jung : Si Couleur de Peau : miel est une autobiographie, Le voyage de Phoenix est une fiction : la différence est là. Souvent, les auteurs abordent des thématiques qui reviennent de manière récurrente dans leurs livres, je n'échappe pas à cette règle. Je continue à creuser le même sillon, à explorer la même caverne et n’est pas un hasard si les thématiques se prolongent.

Extrait de la bande dessinée

L’autobiographie retranscrit une histoire personnelle, elle est plus factuelle. Les digressions sont possibles et bienvenues, car l’intention est de rendre son histoire plus « universelle », sinon autant raconter sa vie sur un blog ou facebook. J’ai tenté de parvenir à cette universalité avec les trois premiers volumes de Couleur de Peau : miel et je poursuis ce but avec la rédaction d’un quatrième tome.

Dans une fiction, comme Le voyage de Phoenix, les faits ne nous limitent pas et on peut laisser courir son imagination. J'avais envie de raconter l'histoire de plusieurs destins qui se croisent et s'entremêlent autour de la résilience.

Comment avez-vous travaillé autour du concept de résilience ?

Dans cette histoire, c'est surtout l'étape qui précède la reconstruction de soi qui m'intéressait : quel élément déclencheur permet de faire la transition, à accepter le traumatisme. La résilience est en quelque sorte une renaissance, le Phoenix la symbolise.

Dans mon histoire, Aron réalise que la colère le conduit inéluctablement à l'autodestruction, que la reconstruction de soi passe inévitablement par le pardon. Voilà une notion à laquelle je suis fort attaché aussi... le pardon.

Vous expliquiez que le noir et blanc convenait à Couleur de Peau : miel dont l’intrigue évoquait vos souvenirs. Pourquoi avoir conservé cet aspect dans cette nouvelle bande dessinée ?

Je trouve que le noir et blanc a un côté « littéraire » que la couleur vient parfois perturber. Il permet d'aller à l'essentiel sans avoir besoin d'artifice. Il convient bien au roman graphique qui privilégie la narration. J'ai finalement peu d'admiration pour les BD qui sont uniquement dans la démonstration d'un savoir-faire technique. Je préfère un dessin moins bien fichu, mais incarné.

Cela ne veut pas dire qu'il faut faire n'importe quoi avec le dessin, comme certains peuvent parfois le faire. Il faut trouver le bon équilibre entre le dessin et le texte. Sur Le voyage de Phoenix, j'ai affiné mon style, afin de le rendre encore plus lisible. C'est important lorsqu'on parle de l'humain, de créer de l'empathie pour ses personnages... ça passe forcément par une alchimie entre le dessin et le texte. Peut-être qu'un jour je reviendrai à la couleur si l'histoire que je veux raconter le justifie.

Une fiction intime et documentée

Comment sont nés les nombreux personnages du Voyage de Phoenix ?

Le « je », ressemblant à l’autobiographie, est toujours présent puisque l'histoire est racontée par le personnage de Jennifer. J'aime bien lorsqu'il y a un narrateur, les textes off me permettent d'entrer plus en profondeur dans les méandres de l'intimité de mes personnages. Ici, je voulais changer de peau, me mettre dans le rôle d'un personnage féminin, lui inventer une histoire et me réinventer une autre vie le temps d'un album. C'est ainsi qu'est née Jennifer.

Kim, Coréen adopté, fait le lien avec Couleur de peau : miel mais à travers lui, c'est surtout le personnage d'Aron, son père adoptif, qui m'intéresse. Aron privilégie Kim au détriment de sa propre fille, Chelsea. J'avais envie de parler de ce sujet délicat qu'est la préférence pour un enfant, même au-delà des liens de sang.

D’autres personnages font écho à des personnalités réelles. Pour le personnage de San-Ho je me suis inspiré de Shin Dong-hyuk dont j’ai lu le livre autobiographique Rescapé du camp 14. L'histoire des réfugiés de Corée du Nord me touche et me bouleverse en même temps. Ça faisait longtemps que j'avais envie d'évoquer et mettre en lumière cet aspect que peu de gens connaissent.

Pour le père de Jennifer, je me suis inspiré de l'histoire vraie de plusieurs marines qui ont déserté l'armée américaine dans les années 60 pour passer en Corée du Nord.

Le voyage de Phoenix est une fiction, mais documentée. C'est sans doute aussi pour cette raison que mes personnages semblent réels.

Pourquoi traiter de l’actualité de ce conflit Nord-Coréen ? Avez-vous hésité à en parler ?

Je l’ai fait sans aucune hésitation. J'estime que le rôle d'un auteur, artiste ou cinéaste est d'oser dire tout haut ce que la majorité des gens pensent tout bas. Arriver à mettre des mots, des images sur ce qui peut paraître abstrait, voire insupportable pour les autres.

Mais ce travail, je le fais d'abord pour moi. Quel sens donner à sa vie après avoir vécu un traumatisme ? Comment retisser le fil interrompu de la vie ? Comment se reconstruire ? Je n'apporte pas toujours de réponses, mais ces questions qui sont posées dans mes livres ont le mérite de faire réfléchir.

Pourquoi vous pencher particulièrement sur le sort des femmes échappées de Corée du Nord ?

Tout simplement car la majorité des réfugiés de Corée du Nord sont des femmes. Elles arrivent à s'échapper via des passeurs qui les revendent sans qu'elles le sachent à des réseaux de prostitution en Chine.

Le sujet des migrations est un sujet particulièrement d’actualité : pensez-vous que votre voyage de Phoenix apporte un nouvel éclairage au tableau ?

Oui, car on sait peu de choses sur les réfugiés de Corée du Nord, ce qui est pourtant d'actualité. Et en même temps, je n'ai aucune solution à apporter au problème, je peux simplement l'évoquer.

Quand je regarde les informations, je suis attristé par ce que je vois, notamment par l'exode des migrants. L'histoire se répète. Dans notre monde, les enjeux politiques et économiques sont plus importants que l'humain. Ce qui me dépite, c'est de constater que l'homme ne changera pas.

Néanmoins, si chacun dans son petit périmètre pouvait ouvrir les yeux, se poser les bonnes questions sur le sens à donner à sa vie et son rapport aux autres, peut-être que les choses évolueraient. Comme un puzzle qu'on déciderait de faire ensemble... Encore faudrait-il faire le même. Mais bon, c'est utopique et peu probable, alors je vis dans mon imaginaire dans lequel je peux rêver d'un monde meilleur.

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