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Tristan et Yseult, une romance sauvage

Ecrite au Moyen Âge, Tristan et Yseult est une histoire d’amour qui a traversé les âges pour toucher les âmes adolescentes, dont celle d’Agnès Maupré. Vingt ans après cette découverte, elle réinterprète son livre fétiche accompagné du coup de crayon de Singeon. Ensemble, les deux auteurs, amis, nous racontent la genèse de ce projet envoûtant.

« Revivre un livre d’après nos souvenirs »

Vous semblez vous connaître depuis longtemps. Quand vous êtes-vous rencontrés ?

Agnès Maupré : Je crois que ça remonte à quinze ans, lorsqu’on était aux Beaux Arts. On fréquentait tous les deux le département morphologie.

Singeon : Là-bas on constatait qu’il y avait en moyenne une personne par classe qui voulait faire de la BD. Dans ma classe, il y avait moi et Agnès un niveau au-dessus. J’ai mis du temps avant de me rendre compte qu’elle et moi étions amis. [Rires] A ses yeux c’était évident, la réalité est venue à moi comme une claque !

Une complicité qui a donné naissance au projet Tristan et Yseult...

Agnès Maupré : À la base, c’était un peu mon bébé car c’est une histoire que j’ai beaucoup aimée quand je l’ai lue en sixième. Je ne l’ai jamais relue, mais je l’ai racontée plein de fois à mon entourage et je me suis toujours dit que j’allais en faire des illustrations un jour, sans forcément faire une BD. L’histoire avait une puissance graphique très forte : les textes m’évoquaient de beaux motifs et des blagues graphiques, comme le Roi Marc caché dans son arbre, le dragon, l’épée entre Tristan et Yseult... Ce qui me plaisait aussi dans ce livre, c’est l’amour, induit par un philtre. Cet amour qui sème la pagaille et dont on se passerait bien, même s’il nous emprisonne...

Singeon : Agnès avait déjà scénarisé les 10 premières pages de la BD. Il y avait déjà un charme dans sa narration, les dialogues et les scènes, notamment celles du dragon. Elle m’a donné un ultimatum en me disant : « Dis-moi ce que t’en penses parce que je vais commencer à le dessiner et si je commence personne ne pourra y toucher. » J’ai directement accepté la proposition.

Comment avez-vous composé ensemble la BD ?

Singeon : Le scénario a vraiment été écrit de bout en bout par Agnès. Je crois assez fermement que si elle avait fait le dessin elle aurait scénarisé autrement, or pour ce projet elle s’est adaptée à mon style. J’avais le scénario en main et à partir de lui, j’ai imaginé les visuels et le découpage. Il y a juste le passage du philtre qu’Agnès a retouché, et que j’ai remanié à ma façon. C’était marrant de voir que nos points de vue étaient certes indescriptibles, mais se reflétaient énormément sur planches. Par exemple on n’a pas la même façon d'aborder les corps : j’ai un trait beaucoup plus fermé et délimité par rapport à l’espace, tandis que celui d’Agnès est beaucoup plus fluide.

Tristan et Yseult a fait l’objet de nombreux réécritures et films. Quel aspect de l’histoire vouliez-vous accentuer en BD ?

Agnès Maupré : Pour moi, ce n’est pas une adaptation car il n’y a pas une œuvre. C’est une histoire censée traverser les siècles en étant racontée, réinterprétée. Le jeu était de ne pas relire, mais de transposer une histoire d’après des souvenirs d’il y a vingt ans. A mes yeux, Tristan et Yseult est un véritable catalogue d’affections. On voit cet amour qui brûle non seulement les personnages, mais aussi ceux qui les entourent. Par la présence du philtre, ce n’est vraiment pas une histoire d’amour courtois, car les héros ne se content pas fleurette. Et ça fout en l’air en leur vie car ils ne peuvent pas s’empêcher de se sauter dessus.

Des amants adolescents

Tristan et Yseult ont vraiment des allures d’adolescents torturés, aussi bien dans la narration que le dessin...

Agnès Maupré : La plupart des adaptations que j’ai vues au cinéma mettaient en scène des vingtenaires et pour moi c’était une vision erronée. Je tenais vraiment à ce que ce soit des ados, car, comme eux, Tristan et Yseult sont des personnes qui n’ont rien vécu...

Singeon : Le public idéal de la BD commencerait d’ailleurs à l’adolescence, car on a découvert ce récit à cet âge-là et il reflète bien cette période.  J’ai essayé rendre les héros les plus juvéniles possibles, en particulier par leurs visages. Au point de rendre Tristan plus poupon qu’Yseult, qui, dans la BD, a un caractère bien trempé et plus facétieux. Lui reste obéissant et essaie de bien faire, même pris dans les flammes du désir. Il a en lui cette espèce d’honnêteté et de probité vis-à-vis de son oncle, ses devoirs, qui le rendent un peu chiant... [Rires]

Bien plus loyal que les barons du Roi Marc, qui dans la BD sont vraiment traités de façon caricaturale...

Agnès Maupré : À travers les barons j’ai réglé des comptes avec des personnes du passé ! [rires] Même s’ils sont âgés, mais ça ne les empêche pas de se comporter comme des gamins.

Singeon : Dans la vie, il y a des personnes qui campent le rôle de fourbes calculateurs. C’est le cas des barons qui vont tout faire pour dévoiler au grand jour la romance de Tristan et Yseult, pour retourner le Roi Marc contre eux et ainsi faire main basse sur le pouvoir. Ce sont des sales gosses qui ont besoin de casser un truc quand ils s’ennuient, mais ça ne les rend pas moins dangereux...

La sexualité est également très présente dans la BD. Comment l’avez-vous mise en avant ?

Agnès Maupré : Sa présence était déjà très importante dans les textes médiévaux. En les redécouvrant, on peut trouver des descriptions très explicites.

Singeon : Il était essentiel de dévoiler les corps dans la BD pour montrer le philtre et ses effets qui enlèvent tout libre arbitre. Il fallait que dès la première scène, on montre ces gens qui oublient leur pensées, leurs sentiments et qu’il ne reste que ces corps qui ont besoin de se rassasier. Les éléments de la nature comptaient aussi beaucoup, car ils nous ont permis de fonder un décor à l’unisson de leurs sentiments et leurs humeurs, notamment par le temps, les saisons ou les paysages.

D’autres projets en vue après Tristan et Yseult ?

Singeon : On est tellement contents de cette collaboration et des retours que l’idée de remettre le couvert nous séduit réellement et pas uniquement pour des adaptations. De mon côté je suis en train de préparer un projet pour la collection Sociorama sur les vacances au bled, basé sur les travaux de Jennifer Bidet. Il consiste à mettre en lumière ces Algériens de seconde génération, nés de parents immigrés et comment ils vivent ce séjour dans leur pays d’origine.

Agnès Maupré : Pour ma part, beaucoup de projets pour enfants ainsi que l’illustration d’une BD sur James Barry, un médecin travesti des armées durant le XIXe siècle ! Niveau adaptation je m’attaquerais bien au Bonheur des dames, qui est un de mes romans fétiches. Et enfin, peut-être une comédie musicale de la BD Tristan et Yseult, reprise par avec mon groupe Esprit Chien...

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