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Pour vivre heureux, David Chauvel vit...

caché ! David Chauvel, 52 ans, est né à Rennes avant de s’installer à Quimper. En trente ans de parcours, il a écrit plus de 125 scénarios, dans tous les genres. Début février, il a sorti Res Publica, un livre coup-de-poing contre le néo-libéralisme dessiné par un autre Breton, le Rennais Malo Kerfriden. Entretien avec un homme de l’ombre.

Pouvez-vous retracer les grandes lignes de votre parcours et votre entrée en bande dessinée ?

David Chauvel : Je suis né à Rennes le 18 décembre 1969 et j’y ai grandi. Après un bac économique et un BTS de commerce international, j’ai brièvement travaillé dans un centre d’appels. J’ai détesté ça. Du coup, je me suis mis à écrire dans mon coin, puis j’ai rejoint l’atelier Atchoum à Rennes. Par le biais de Lucien Rollin (ndlr : le dessinateur, entre bien d’autres séries et albums, d’Ombres, Saskia des Vagues, Le Gouffre de Padirac…), j’ai rencontré Jean-Claude Camano des éditions Glénat qui m’a donné ma chance. Puis j’ai commencé à signer chez Delcourt la série Rails avec Fred Simon, un dessinateur de Dinan. Tout ça s’est fait entre Bretons (sourire).

Et côté personnel ?

D. C. : J’ai trois enfants, et ma seule passion, c’est la pêche, en mer sur mon kayak (ndlr : en début de parcours, il a d’ailleurs écrit Octave et la Dorade royale, un de ses poissons fétiches, pas facile à pêcher).

Res publica

Res publica © Delcourt, 2022

Qu'est-ce qui a changé dans le monde de la bande dessinée depuis trente ans ?

D. C. : J’ai commencé la BD à une époque où peu de jeunes pensaient en faire leur métier. Les éditeurs étaient alors très accessibles et demandeurs de rencontrer de jeunes auteurs. J’ai signé mon premier contrat à l’âge de 20 ans pour la série Black Mary chez Glénat. Quand je suis sorti du bureau, je me suis demandé pourquoi ces gens me donnaient de l’argent pour faire ce livre : je les trouvais fous !

Pour faire court, la bande dessinée se résumait alors à Tintin, Bilal et Hugo Pratt. Aujourd’hui, culturellement parlant, la BD est partout, presque triomphante. Les gens lisent beaucoup et les éditeurs produisent énormément. Parfois trop et cela appauvrit
le genre.

La BD s’est boboïsée : plus personne, sauf quelques cons, n’a honte d’avoir une bande dessinée sur sa table basse. Elle a gagné ses lettres de noblesse, d’autant plus avec l’essor du manga.

Combien d'histoires avez-vous écrites en trente ans de parcours ?

D. C. : Je me suis amusé à compter récemment et j’arrive à plus de 125 titres, que ce se soient des séries ou des one shots (rire). Ça fait une bonne moyenne de quatre titres par an.

Res publica

Res publica © Delcourt, 2022

Qu'est-ce que vous avez préféré faire dans cette kyrielle de titres ?

D. C. : Les 5 Terres, une série au long cours
sur laquelle je travaille toujours. C’est le fruit d’une longue réflexion autour de mon travail. J’aime cette densité narrative qui se rapproche de la série télé. Comme j’avais dès le départ l’intime conviction que je n’étais pas capable de la faire tout seul, on l’écrit à trois têtes et six mains sous le pseudo Lewelyn qui regroupe David Chauvel, Andoryss (Mélanie Guyard) et Oz (Patrick Wong). C’est un grand plaisir, car je me sens porté par une
dynamique de groupe : quand l’un cale, il y a toujours un des trois autres qui finit par sortir quelque chose. Au fil du temps, on a appris à connaître les points forts les uns des autres.

Vous vous êtes toujours fait rare dans les médias préférant la discrétion à la mise en lumière...

D. C. : Oui. J’aspire plutôt à la disparition qu’à la reconnaissance. Cette dernière est un héritage de la culture bourgeoise dans la littérature : l’auteur avec un grand « A ». Or je suis allergique à la culture bourgeoise. J’aurais d’ailleurs souhaité que pour mon dernier titre, Res Publica, mon nom et celui du dessinateur, Malo Kerfriden, un autre Breton de Rennes, n’apparaissent pas sur la couverture. Malheureusement, ce n’est pas possible pour des raisons techniques, de classement et de référencement.

Pourquoi, selon vous, le pouvoir a-t-il eu du mal à comprendre les revendications et la colère des Gilets Jaunes, thème de Res Publica ?

D. C. : Quand on est dans l’idéologie néolibérale comme Emmanuel Macron, on ne peut pas entendre ce que disent les Gilets Jaunes, car tout doit découler du commerce. Le pilier de l’idéologie bourgeoise, c’est le mérite. Or c’est faux : il existe une inégalité de fait à la naissance. C’est donc un mépris de classe. Et moi, je fais partie du peuple. Le peuple, c’est moi : je suis un prolo, ma grand-mère gardait les vaches, mes parents n’avaient pas le bac. Même si, aujourd’hui, j’évolue dans un milieu culturel, je suis un homme du peuple et c’est sur lui qu’on a tiré pendant les Gilets Jaunes. Et ça, je ne peux pas le pardonner.

Res publica

Res publica © Delcourt, 2022

Vous êtes également devenu éditeur indépendant pour Delcourt il y a 15 ans. Directeur de collection, c'est bien comme cela qu'on dit ?

D. C. : Je ne suis directeur de rien du tout : le mot éditeur me convient mieux. Je travaille en free-lance pour les éditions Delcourt. Il y a quinze ans, j’ai en effet eu une discussion avec Guy Delcourt. Il souhaitait que je prenne en main des séries concepts, comme les « 7 ». Mais je suis quelqu’un de très éclectique dans mes goûts et mes envies. Il était donc hors de question pour moi de me cantonner à cela : j’en ai parlé à Guy qui l’a très bien compris. Donc depuis 2006, je suis mon propre éditeur, comme pour Res Publica,
et celui de plusieurs auteurs : je suis censé publier une quinzaine de livres par an.

Quel est le choix d'éditeur dont vous êtes le plus fier ?

D. C. : Mon fait d’arme, c’est Come prima
d’Alfred, qui a reçu le Fauve d’or (prix du meilleur album) en 2014 à Angoulême. Mais aussi L’Homme gribouillé de Frédéric Peeters et Serge Lehman, La Horde du contrevent d’Éric Henninot adapté d’un livre d’Alain Damasio…

Comment faites-vous vos choix ?

D. C. : Ce sont principalement des affinités et des rencontres qui débouchent sur des projets. « L’humain avant tout », comme dirait Jean-Luc Mélenchon !

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