ZOO

Et si le secret du bonheur, c’était d’être un gros con ? Rencontre avec P. Valty et E. Uzan

Pascal Valty et Emmanuelle Uzan sortent pour la rentrée Happiness dans ta gueule, l’histoire de Nathalie Leboeuf, improvisée autrice de livres de développement personnel. La jeune femme propose une recette innovante : et si pour être heureux, il suffisait de ne penser qu’à soi ? Rayan, simplet pseudo charismatique, est séduit par le projet : la France doit apprendre à dire non ! Rencontre... Et Découvrez un extrait de Happiness dans ta gueule !


Pascal Valty, comment êtes-vous devenus auteur puis (votre propre) éditeur de bande dessinée avec La Valtynière ?

Pascal Valty : J’ai fait les Arts Déco il y a trente ans. J’ai toujours fait du graphisme et de la BD en parallèle. Le vrai démarrage a été quand j’ai envoyé des BD à Psikopat. Je l’ai fait pendant trois ans. Paul Karali m’a dit, quand Psikopat s’est arrêté, « mais vas-y fais ton truc ! ». Alors j’ai créé Malossol Beach avec Hannelore Cayre. On s’est posé la question de l’édition à ce moment-là. J’avais en tête la scène musicale Indi où il est assez courant de monter sa propre maison d’édition. De fil en aiguille, on s’est pris au jeu. Je suis super content de l’avoir fait.

Emmanuelle Uzan, Pascal Valty, avez-vous travaillé en harmonie ?

Emmanuelle Uzan : Carrément !

P.V : Emmanuelle est ma compagne. C’est plus simple ! Elle écrivait beaucoup pour la télé ou le cinéma. Je l’ai amené à la BD. Je pense qu’elle a vraiment un talent adapté à la BD. C’est une très bonne dialoguiste.

E.U : Il ne me fait pas chier. Je peux faire ce que je veux. (Rire.)

P.V : Comme je fais aussi des BD où je suis auteur, j’ai conscience du travail que représente l’écriture. Pour Cours Florence, c’était différent, ça partait d’un truc un peu autobiographique de la part d’Emmanuelle. Alors qu’Happiness c’est quelque chose que l’on a conçu ensemble. Emmanuelle a fait le travail de mise en forme, d’écriture. Elle me fournit un scénario et après je le découpe pour avoir plus ou moins des chutes en fin de page. Le seul truc que je lui ai dit pour Happiness c’est de faire plus court et plus concis. J’aime beaucoup le côté un peu littéraire de Cours Florence, mais on avait besoin d’une écriture plus ramassée. Manu intervient aussi dans le séquençage et dans le dessin : elle est mon premier public !

E.U : Moi je ne dessine pas du tout. Ou je dessine comme une tâche. Mais en revanche j’ai des envies de certains trucs, j’ai mes petites demandes.

P.V : Par exemple la couverture avec Nathalie Leboeuf en Céline ! (Rires) L’intérêt, comme on fonctionne à deux, c’est qu’on peut rebondir. On a commencé à réfléchir à Happiness un ou deux ans avant de commencer à l’écrire. On note plein de choses et après on voit où ça nous mène.

Pascal Valty, Emmanuelle Uzan et Bertrand Marcou

Pascal Valty, Emmanuelle Uzan et Bertrand Marcou
© Justine Bavois, 2022



Qu’est-ce que raconte Happiness dans ta gueule ? Comment vous est venue l’idée ?

E.U : On a regardé une émission avec Julia De Funès, la petite fille De Funès. Elle parlait des dérives du développement personnel. Elle en montrait le côté grotesque. Et ça fait mille ans que je trouve que le développement personnel… Bon… Tant mieux si ça aide des gens. C’est comme la religion : c’est super quand ça aide. Mais personnellement je trouve ça complétement con ! Et elle disait la même chose que moi. Je me suis dit : « Ah c’est rigolo : je ne suis pas la seule à le penser ! ». Et puis il y a cette personne, qu’on ne nommera pas, qui est apparue chez nous un jour et qui est encore plus grotesque que Rayan dans Happiness. Alors j’ai eu envie de mixer les deux : un débile qui fait du développement personnel !

P.V : Ce qui était intéressant aussi c’est que ce soit une nana qui n’y croit pas du tout qui lance le mouvement : Nathalie Leboeuf.

E.U : C’est complètement cynique.

PV : On fait toujours des BD avec un fond autobiographique. C’est très nourri d’un tas de profil de gens qu’on a croisés ou qui nous font marrer.

Les personnages sont donc inspirés de personnes réelles ?

E.U : Mae/Nathalie n’existe pas vraiment : elle a un peu de moi. Mais le Rayan : il existe. On le connait !

P.V : C’est un mélange de plusieurs profils. Mais on a tous un Rayan dans notre entourage. Ce que je trouve intéressant, limite touchant, c’est qu’il n’est pas très doué mais qu’il n’a peur de rien.

E.U : C’est un peu Trump en fait : un mec qui a un boulard intersidéral, qui ne doute pas de lui et du coup ça marche !

P.V : C’est vrai qu’un des modèles était Trump. Quand on nous demande la thématique générale du livre, on dit « imaginez un bouquin de développement personnel écrit par Trump ». C’est à peu près ce que produit Mae/Nathalie. Un livre qui apprend à s’assumer totalement comme un gros con au-dessus des autres. Après, la question était de ne pas froisser les gens qui font et utilisent du développement personnel. Mais on va dans leur sens : parce qu’à la fin, ça fonctionne. Même si c’est une catastrophe et que ça produit un monde horrible…

Happiness dans ta gueule

Happiness dans ta gueule © La Valtynière, 2022

E.U : Trump m’a beaucoup inspirée. C’est pas un homme d’affaires, c’est un mec odieux, débile, avec une coiffure ridicule. Comment arrive-t-il à être président ? C’est dingue. Il a zéro culture, il est con comme un balai… Et qu’on vienne pas me dire qu’il est pas con. Il est débile et président. Et ça, ça me fascine. Sa mère a du beaucoup lui dire qu’il était beau quand il était petit…

P.V : Nathalie Leboeuf est une nana assez intelligente, consciente du truc, mais pas assez sûre d’elle. Elle l’est tellement peu qu’elle se fait vampirisée par Rayan. Et lui, c’est un format Trump.

Sous couvert d’humour, vous dénoncez les incivilités, l’égoïsme…

E.U : Oui, pour le coup c’est « happiness », mais surtout « dans ta gueule ». C’est très pessimiste. Je passe mon temps à déconner mais je suis très pessimiste. Quand on voit ce qu’on voit… La société de débiles qu’on est en train de faire… Par exemple, j’en ai ras le bol qu’il fasse 50°C depuis 2 mois. J’en peux plus. Mais grâce au développement personnel tout va changer !

P.V : On essaye de faire une lecture « intelligente » de la société, sous couvert d’une espèce de farce. C’est un bouquin auquel on repense, qui nous fait réfléchir. On a des potes qui nous envoient des photos de quelqu’un garé sur une place handicapée et qui nous disent « tiens, Rayan est passé par là ». Les gens après s’être marrés, ils voient dans leur quotidien ce dont on parle. Sous une approche légère, on dit aussi ce qu’on pense des paquebots de croisière qui viennent flinguer les côtes…

E.U : Je suis végétarienne et écolo, alors j’avais envie de parler de ces balades dans des HLM flottants. Je trouve ça dingue. Sans faire vieille conne, notre société est débile. Par exemple, les influenceurs… J’en suis une sur Instagram pour me marrer. Elle habite à Dubaï et elle vend des crèmes qui ne marchent pas. N’importe quoi !

Happiness dans ta gueule

Happiness dans ta gueule © La Valtynière, 2022



Quel est votre personnage préféré ?

E.U : J’adore Rayan. Les gens vraiment cons, mais avec brio, me fascinent.

P.V : Moi c’est Nathalie Leboeuf. C’est une Jean-Pierre Bacri au féminin. Elle en a ras-le-bol. C’est assez jouissif comme personnage. Elle a son côté aigri, même si on sent qu’elle n’est pas méchante.

E.U : J’ai pris beaucoup de moi, donc je vais pas dire que c’est mon personnage préféré ! Mais je lui fais dire ce que j’aimerais dire. J’aurais pu dire « les otaries on les encule » ! On me dit souvent « qu’est-ce que tu es vulgaire ». Dans Happiness, je ne sais pas si vous vous en êtes aperçus, mais y a quand même pas mal de gros mots ! (Rires) Bon bref, je m’en fous ! Ça ne va pas me tuer.

L’écriture d’Emmanuelle va très bien avec votre dessin Pascal : caricatural et grotesque.

P.V : J'ai jamais considéré que j'étais un grand dessinateur. Je pense que je ne le serai jamais. Mais je veux qu'il soit au service du récit. C'est tout. Il faut que le dessin soit suffisamment clair pour qu'on puisse comprendre l'histoire et rentrer dedans. Mes icônes sont Bretécher et Reiser. J'adore leur simplicité. J'ai jamais été séduit par ce que certains appellent le « beau dessin ». Je comprends qu'on puisse adorer mais moi je perds le fil du récit.

Je travaille sur tablette. Tout le problème a été de trouver le paramétrage qui fait que mon trait soit au plus près de ce que je fais à la plume. L’Ipad c’est, je trouve, ce qu’il y a de plus proche de la sensation papier. Comme j’aime beaucoup le trait jeté, avec la tablette, il n’y a pas le problème du repentir. C’est un gain de temps énorme. Et pour la bichromie ou la colorisation, c’est génial.

E.U : Je voulais du rose, parce que je suis une fille et que j’aime bien le rose. Pour la couverture je voulais aussi du rose : un truc un peu kawaï, mignon et qui tranche avec « dans ta gueule ».

Votre style graphique s’est affiné depuis l’Extension du domaine de la loose. Vous avez trouvé votre patte ?

P.V : Je pense oui.

E.U : Il fait des gros nez !

P.V : C’est comme les groupes de rock : j’apprends en faisant ! Ils ont appris à jouer de la guitare à partir de leur troisième album, moi j’ai appris à dessiner à partir du 5eme. (Rires) Mon trait a vachement changé en fonction des projets et il va sûrement continuer à évoluer. Mais là je commence à être dans un équilibre qui me correspond.

Happiness dans ta gueule

Happiness dans ta gueule © La Valtynière, 2022



Des projets pour la suite ?

E.U : On a commencé à écrire une autre BD.

PV : En fait on va s’attaquer à un manga sauce Valtynière.

E.U : Un manga pour les gens qui n’aiment pas le manga !

P.V : J’aime beaucoup le manga graphiquement. Il y a des trucs super forts avec le noir et blanc. Ce qui m’intéresse ce sont les codes du manga. Mais on va pas trop en dire : si jamais on met du temps à l’écrire ! C’est censé être notre prochaine sortie mais si Happiness plait, on changera peut-être…

E.U : J’espère qu’il y aura un tome 2. En tout cas la fin est suffisamment ouverte pour qu’on puisse faire une suite. Le mandat de Rayan ne va pas être compliqué du tout ! (Rires)

Haut de page

Commentez

1200 caractères restants