En s’alignant avec les codes de la BD, Anne Nivat, journaliste reporter, rend compte, avec éclat, de la lourdeur des temps de guerre et de la nécessité d’en retransmettre les faits. Dans La gueule du loup restitue alors avec force ses souvenirs de 1999 en Tchétchénie à 2004 en Irak.
Nina, le double fictionnel d’Anne Nivat, retrouve Mahmoud et Abdel dans un café, à Nice. Ils y évoquent leur parcours personnel et leurs chemins qui, à un moment donné, se sont croisés. Quelques moments phares des expéditions de la journaliste ressurgissent: à Falloujah, en mars 2004, lors de l’affrontement entre les troupes américaines et Al-Qaïda, puis, à Grozny en 1999, lorsque le conflit entre les Russes et la Tchétchénie dévaste la capitale. Mahmoud, un ami tchétchène de longue date, et Abdel, un jeune français parti faire le djihad en 2004, se sont, eux aussi, confrontés à la réalité des champs de bataille et des bombardements hasardeux, dont la menace est permanente.
En Irak, soldats américains et milices d’Al-Qaïda s’affrontent
© Marabout
Au-delà de l’enjeu géopolitique de ces guerres, Anne Nivat tient à représenter les divers acteurs de l’ombre, qui agissent, survivent et subissent les aléas des affrontements. En cela, elle privilégie véritablement la nuance dans la façon de témoigner. Elle porte également une attention centrale à la place de ceux qui se sont extirpés des villes en guerre et qui résident désormais en France. La conversation entre Nina, Mahmoud et Abdel à Nice, se déroule donc dans un cadre pacifique, mais prend un intérêt notable dans l’histoire. Si leur échange révèle des discours quelque peu divergents entre les personnages concernant le devoir de combattre, leur vision du monde partagée est plutôt désenchantée.
Nina s’est coulée dans la sordide réalité de la guerre en Tchétchénie
© Marabout
L’album livre le souvenir des observations et enquêtes de la journaliste, de façon épisodique mais intense, en misant beaucoup sur le visuel. Le style graphique de l’illustration apporte une profondeur sublimant la véracité de ses témoignages. Les traits explosifs des bombardements du 31 mars à Falloujah se perçoivent, d’emblée, par des couleurs tranchées et éclatantes. Le bleu sombre du ciel se trouve progressivement envahi par l’épaisse fumée orangée. Le sol clair et rocailleux est barré par une flaque d’eau réfléchissant à la fois les flammes de la ville et la tristesse du bleu céleste. Cette mise en place du décor, sur toute une planche, dépeint admirablement le danger et le chaos qui règne là-bas. Alors on s’y arrête quelques secondes, pour y lire les sensations et l’émotion que la scène dégage.
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