Un dragon en forme de nuage

Pierre, libraire sur l’île Saint-Louis, s’occupe seul de sa fille handicapée. Sa vie suit un rythme paisible, presque immobile, jusqu’au jour où une jeune femme imprévisible fait irruption. Conçu par Ettore Scola, ce récit restitue l’émotion et la tendresse d’un film italien jamais réalisé.

À Paris, sur l’île Saint-Louis, Pierre, 56 ans, tient une petite librairie nommée L’Encrier et la Plume. Il y consacre sa vie tout en s’occupant seul de sa fille handicapée, clouée dans un fauteuil roulant depuis un grave accident de vélo survenu lorsqu’elle était enfant. Depuis ce drame, elle ne peut ni bouger ni parler. Sa mère, dévastée par le chagrin, s’est laissée mourir peu après.

Pierre mène une existence simple et réglée. Entre les visites quotidiennes du médecin et l’aide fidèle de la femme de ménage, il passe ses journées entouré de livres. Le soir, il lit à voix haute des extraits de romans à sa fille, comme pour lui offrir un peu d’évasion. Sa vie s’écoule ainsi, paisible mais sans véritable émotion, rythmée par la solitude. Ses rares échanges humains se résument à ses conversations avec Tony, un serveur italien du café voisin devenu son seul ami.

Extrait de Un dragon en forme de nuage, en librairie depuis le 29 octobre.
© Fordis 2025

Un jour, une jeune femme surgit dans sa librairie. Elle n’a même pas l’âge de sa fille et ne s’intéresse pas vraiment à la lecture. Elle cherche simplement à échapper à un homme qui la suit depuis la bouche de métro toute proche. Volubile, un peu fantasque, elle parle sans arrêt. Journaliste en situation précaire, elle enchaîne les piges et les collaborations éphémères. Sous tension, elle finit par fondre en larmes avant de disparaître aussi soudainement qu’elle est entrée. Mais elle reviendra bientôt, et de plus en plus souvent. Peu à peu, une relation ambiguë va naître entre ces deux êtres que tout oppose.

Ce scénario avait été écrit par Ettore Scola, le grand cinéaste italien, qui rêvait d’en faire un film. Le casting était finalisé, les décors en préparation. Mais le projet fut stoppé net : le propriétaire de la société de production n’était autre que Silvio Berlusconi, alors au gouvernement, qui refusa de financer le film d’un réalisateur ouvertement communiste. Fidèle à ses thèmes de prédilection, Scola y explorait encore une fois les relations humaines complexes et la dimension sociale des destins ordinaires.

Ne voulant pas voir son histoire sombrer dans l’oubli, Scola proposa un jour le scénario à son ami, le dessinateur Ivo Milazzo. Enthousiasmé, ce dernier l’adapta en bande dessinée. Il transforma le récit en images, envoyant régulièrement ses planches au cinéaste, qui ne lui suggéra que de rares corrections. Son dessin, au trait noir affirmé, se marie à des couleurs à l’aquarelle évoquant les tableaux des années 1950-1960. L’album, d’un charme résolument rétro, réussit à captiver sur près d’une centaine de pages, principalement situées dans la librairie et l’appartement au-dessus, sans jamais lasser le lecteur. Les émotions et les nuances des relations humaines y sont rendues avec une grande justesse.

Ce livre ravira les amateurs de cinéma italien, qui auront l’impression de découvrir un film d’Ettore Scola qu’ils n’avaient jamais eu la chance de voir.