Remina

Avec Remina, nous plongeons au cœur de l’univers horrifique et étrange du maître du manga d’horreur, Junji Ito. Une planète vivante menace l’humanité qui s’affole, et se trouve le parfait bouc émissaire en la personne d’une jeune fille qui doit dorénavant fuir, en pleine apocalypse.

Devant un parterre de journalistes, Le professeur Oguro révèle au monde qu'une mystérieuse planète vient d'apparaître, sortie d'un trou de ver. Pour l’instant, on ne sait pas grand chose sur elle, si ce n’est qu’elle semble suivre un trajet aléatoire, très désordonné. Tout au plaisir de sa découverte, le scientifique annonce qu’il l’a baptisé du prénom de sa fille, Remina.

La nouvelle provoque une vague d’enthousiasme partout dans le monde, la foule s'extasie et l’on en vient même à idolâtrer la jeune fille et son père. Cependant, lorsqu’on se rend compte que la planète semble animée d’une vie propre, qu’elle dévore tout sur sa route, et plus particulièrement les planètes du système solaire et qu’elle se dirige maintenant vers la Terre, c’est la panique. Emerge alors le sentiment qu’il faut des responsables à tous ces maux. Les doigts se pointent, le professeur Oguro et sa fille sont alors désignés, ils doivent payer. À mort Remina…

Remina - Édition prestige - La planète de l'enfer © Delcourt, 2023

Manifeste Junji Ito

Précédemment édité en 2008 chez Tonkam, ce volume nous est ici présenté dans une édition "Prestige", accompagné par Des millions de solitaires, le petit chef d'œuvre de Junji Ito.

Remina se présente comme l’ouverture parfaite vers l’univers d’Ito, un mélange entre horreur étrange (presque Lovecraftienne), regard perçant sur la société japonaise, le tout accompagné par un dessin d’une grande finesse.

Comme à son habitude, l’auteur exacerbe les sentiments et pousse le plus loin possible son concept, jusqu’à l'absurde le plus délirant. Derrière cette folie qui emporte le récit, Ito nous décrit des mouvements de masse populaires qui peuvent passer d’un claquement de doigt de l’effervescence la plus totale à un sentiment de haine profonde qui légitime l’usage de la violence excessive.

Exagération, miroir déformant et visions cauchemardesques

Si Junji Ito rythme admirablement son récit, que la démonstration est des plus édifiantes, il dresse le portrait d'une société sans frein qui suit, telle une girouette gesticulante, ceux dont la voix porte le plus loin, sans se poser de question, quitte à glisser dans la barbarie la plus abjecte. On ne peut évidemment que faire le parallèle avec l’actualité et tous ces débats populaires qui stigmatisent sans le moindre recul, ou ces affrontements urbains.

Néanmoins, c'est aussi pour l’artiste le moyen de retrouver ses thèmes favoris et cette façon de mêler l’horreur pure au quotidien, comme lorsque la langue de la planète vivante vient lécher la surface du globe, détruisant des villes entières, avec des milliers de corps qui volent dans tous les sens. La peur du monstre inconnu et inexorable qui, sans la moindre explication, ni remord, attaque, massacre et détruit. Il n’est, ici, plus question de héros vaillants qui vont sauver la situation, ni même de happy end. C’est radical, sans appel. Veni, vidi, vici.

Toutefois, au-delà des faits eux même, ce qui impressionne à la lecture de ces pages, c'est l'acharnement violent et gratuit qui poursuit la jeune Remina jusqu’au bout. Sa fuite devient alors le centre du scénario et nous offre quelques moments de folie pure où la foule la menace, lui collant aux basques, même dans les égouts, tire sur les fenêtres de son appartement, ou carrément, quand l’apesanteur commence à s’annuler, tandis que les mouvements de la Terre s'accélèrent, la suit dans les airs comme une nuée néfaste, prête à la tuer sans hésiter…

Remina reste un manga hors norme qui surprend par son aspect sans compromis. Ça va vraiment très loin, mais qu'importe, car l’intrigue et son propos sont surtout très efficaces dans ce qu'ils révèlent sur la petitesse de l’âme humaine.

Une lecture qui ne laisse pas indifférent.