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Le dessinateur et Star Wars

Remarqué pour ses œuvres autobiographiques, mais connu pour ses livres mettant en scène les personnages de Star Wars dans le quotidien de parents/enfants, Jeffrey Brown, de passage à Paris, évoque son travail et nous raconte comment lui est venue cette idée… Il y a bien longtemps, dans une galaxie lointaine, très lointaine....

Tout d’abord, est-ce que la saga Star Wars t’a marqué pendant ta jeunesse ?

Jeffrey Brown : Stars Wars fait partie de ma vie d’aussi loin que je me souvienne… Quand le premier film est sorti [La Guerre des étoiles NDLR], j’avais trois ans. Je ne m’en rappelle évidemment pas, mais mes parents nous avaient emmenés au cinéma, mon frère et moi. Mon père a d’ailleurs dû sortir pendant la séance pour m’accompagner aux toilettes… Chaque année à Noël, nous recevions en cadeau des jouets Star Wars, des figurines, mais aussi des BD ou des cartes de collection. À chaque nouvel épisode, nous allions dans les salles pour voir le film. Bref, je suis un authentique fan ! Cette saga a considérablement influencé mes envies et mes inspirations artistiques. Je me rappelle ainsi de ces cartes de collections qui m’ont tant fasciné. J’ai pu dénicher plus tard le livre du story-board, dessiné par Joe Johnston. En le lisant, on prend conscience du fait que Star Wars est une œuvre très riche, qui dépasse largement le cinéma. En fait, ma vie passée et actuelle est très liée à Star WarsRencontre parisienne

Rencontre parisienne © Frédéric Ruaz

Tes premières œuvres autobiographiques sont très nostalgiques. Exprimes-tu cette nostalgie de l’enfance et de la saga quand tu dessines Jedi Academy, Dark Vador et fils ou Le Mandalorien et l’Enfant ?

J.B. : En un sens, oui. J’ai toujours essayé de raconter à travers le dessin ma propre vie. J’ai donc publié des autobiographies. En revanche, avec Star Wars, je ne cherche pas seulement à remonter à mes souvenirs. J’évoque aussi ma vie actuelle et celle de tous les parents. C’est vrai pour Dark Vador et Fils mais aussi pour Vador et sa petite princesse. Pour ce dernier, je me suis inspiré d’amis qui parlaient de leur petite fille, mais aussi de ma femme qui évoquait sa relation avec son père. J’ai mis leurs ressentis dans une histoire. Il y a de la nostalgie bien sûr, car j’évoque nos années pop culture. Je pense cependant que mes livres sont plus personnels et plus profonds que de simples souvenirs d’enfant. L’idée de base de Vador [Dark Vador élève son fils Luke ainsi que sa fille Leia et se retrouve ainsi confronté aux « joies » de la parentalité NDLR] est plutôt de connecter les gens avec deux périodes de leur vie quand ils ont connu Star Wars enfants, puis quand ils ont eu eux-mêmes des enfants…

Des liens conscients ou inconscients peuvent être dressés entre tes précédentes BD et Star Wars : Luke et Leia tentent une relation de (très) longue distance assez maladroite (sujet que tu évoques dans Clumsy), Luke est d’ailleurs probablement toujours vierge (thème de Unlikely) et Han Solo n’est pas non plus très doué avec les filles (Every girl is the end of the world for me).

J.B. : [Rires…] C’est un peu ce que j’ai dit quand j’affirme que je me suis inspiré de ma propre vie… Je crois surtout qu’il y a une continuité entre mon travail précédent et l’actuel. Visuellement, le style graphique de Clumsy est direct et spontané, avec moins de détails que Le Mandalorien et l’enfant. C’est toujours étonnant de prendre conscience de certains liens entre des histoires plutôt pour adultes comme Clumsy ou Unlikely et des livres comme les Vador ou Le Mandalorien, tout public, même si au départ ils étaient pour les parents et que les enfants ont pu les apprécier. Il y a bien une rupture entre mes histoires purement personnelles et les histoires plus générales que je raconte dans Star Wars. Dans Vador et sa petite princesse, je ne voulais pas me contenter de Princesse Leia seulement enfant. Je l’ai donc fait grandir, changer au cours de sa période adolescente… J’évoque même sa relation avec Han Solo…

Le Mandalorien et l'Enfant

Le Mandalorien et l’Enfant © Jeffrey Brown, Huginn Muninn

Comment as-tu rejoint la franchise Star Wars alors que tes œuvres étaient très personnelles ?

JB : En fait, j’étais en contact avec un animateur de fanzine qui appréciait mon travail. Il m’a appelé un jour, alors qu’il travaillait pour Google. Des discussions étaient en cours pour créer un doodle « Luke et Vador ». Il fallait réfléchir à des situations improbables impliquant ces deux personnages. On pouvait ainsi les imaginer dînant ensemble par exemple… Je publiais des livres autobiographiques qui décrivaient des quotidiens un peu amusants, un peu gênants ou un peu maladroits. J’avais aussi travaillé sur des parodies en science-fiction, comme Bighead ou Transformers Incredible Change Bots. Mon profil correspondait assez bien au projet. En plus, j’étais père ! L’idée est donc venue assez naturellement. D’ailleurs mon fils avait à peine 4 ans et du coup Luke a eu le même âge… J’ai fait une douzaine d’ébauches tout de suite après son appel. Je les lui ai envoyées immédiatement par email… à sa grande surprise. Il ne s’attendait pas à ce que je sois aussi rapide ! Finalement, Google a décidé de ne pas poursuivre ce projet…

« Il se trouve que la personne chez LucasFilm qui a reçu cette proposition connaissait mon travail, car j’avais dessiné pour son ex ! [Rire…]. »

À l’époque, je travaillais pour l’éditeur Chronicle Books pour qui j’avais déjà fait une BD comique sur les chats. Chronicle Books était en lien avec la franchise Star Wars et j’ai parlé à mon éditeur de cette idée, afin qu’on en discute avec LucasFilm. J’ai retravaillé le projet avant : je l’ai amélioré afin de faire ressortir tout l’intérêt d’un tel livre… Il se trouve que la personne chez LucasFilm qui a reçu cette proposition connaissait mon travail, car j’avais dessiné pour son ex ! [Rire…]. L’idée a été validée et ainsi est née la série… C’était vraiment un timing parfait avec d’heureuses coïncidences. C’était aussi avant le rachat de LucasFilm par Disney, du coup, la société était plus petite, les décisions étaient sans doute plus rapides à obtenir…


LucasFilm a fait preuve d’une sacrée ouverture d’esprit, car ces gags autour de la famille sont quand même assez éloignés de l’esprit de la saga !

J.B. : Évidemment, dans la série, les thèmes de la rédemption, du parcours personnel sont très présents et on trouve peut-être moins d’humour. Dark Vador est beaucoup plus dur dans les films que dans mes BD… Pourtant, je pense que nous sommes restés dans les limites : les lecteurs s’y retrouvent. Ils sont capables de gérer deux Dark Vador différents. C’est d’ailleurs ce qui les amuse !

Comment ton travail a évolué depuis tes œuvres autobiographiques autopubliées et Star Wars avec un univers imaginé par d’autres auteurs qui implique sans doute une organisation très différente ?

J.B. : Avec le temps, mon style graphique se transforme. Il est devenu plus consistant, plus précis. Pour chaque projet, je m’interroge sur ma manière de travailler. Peut-être que ce questionnement ne se sent pas sur chaque album, mais en tout cas, l’évolution sur les différentes séries que je dessine est réelle. Jedi Academy par exemple a été beaucoup plus planifié que mes livres autobiographiques, en particulier Clumsy qui a été écrit d’une traite, sans plan. Je pensais à l’histoire, elle venait à mon esprit et je la dessinais. C’était il y a longtemps, plus de 10 ans ! Je n’ai pas dessiné de livres autobiographiques depuis. Désormais, pour Star Wars, je construis l’histoire, case par case, page par page… Pour, la série des Vador où les gags se déroulent souvent en une page, je dois alors surtout trouver de bonnes idées ! J’échange beaucoup avec mon éditeur, puis avec Lucasfilm. On discute pour savoir comment mettre l’idée en forme, comment faire en sorte qu’elle fonctionne… Ensuite seulement, je prends mes crayons et mes feutres pour dessiner. Dans cette phase aussi, il y a de nombreux allers-retours. Jedi Academy est un autre bon exemple : il faut construire l’histoire pour embarquer le lecteur. Le style graphique suit alors. En comparaison, mes livres autobiographiques reposent sur des sentiments. Il faut que les émotions se ressentent à chaque page. En fait, elles prennent le pas sur l’histoire.

Le Mandalorien et l'Enfant

Le Mandalorien et l’Enfant © Jeffrey Brown, Huginn Muninn

Combien de temps passes-tu sur un livre comme Le Mandalorien et l’Enfant ? Peux-tu nous dire combien d’idées tu as eues et combien n’ont pas été retenues ?

J.B. : Pour Le Mandalorien ou même pour Jedi Academy, je dessine au moins deux brouillons. J’en fais un avec des personnages en silhouette et du texte partout. C’est encore très fouillis ! La deuxième ébauche, même si elle reste basique, se rapproche du final. La composition de l’image est décidée. Le texte est placé. Les cases sont organisées. Je peux alors me lancer dans le dessin. Pour Vador, j’avais réalisé beaucoup d’esquisses avant. En réalité pour chaque projet, je propose au moins 150 idées ! Mes livres comprennent 64 pages, mais il y a la couverture, la page de titre ainsi que la 4e de couv. En gros, il me faut 58 ou 60 bonnes idées. L’objectif est donc d’en avoir le double pour ne garder ensuite que les meilleures. Lors des échanges avec mon éditeur ou avec Lucasfilm, deux idées assez bonnes peuvent fusionner pour en créer une meilleure. Quelques fois, je griffonne des gags dont je sais pertinemment qu’ils ne seront pas acceptés à la fin. Je les mets en forme simplement pour garder mon esprit vif, pour ne pas me limiter. Pour Dark Vador et compagnie, j’avais initialement imaginé une histoire où Luke essayait d’acheter de l’alcool et se heurtait au refus du marchand à cause de son jeune âge. Alors il décidait d’utiliser la force pour se procurer des boissons. Ce n’était pas évidemment une chute idéale dans un livre que les enfants pouvaient lire aussi. L’idée n’a donc pas abouti.

« C’est une exclusivité mondiale pour Zoo Le Mag ! »

Aujourd’hui tu te consacres particulièrement à Star Wars. As-tu encore le temps d’imaginer des œuvres autobiographiques ?

J.B. : Oui bien sûr. Je n’ai pas encore une idée très précise d’un livre ou d’une histoire spécifique. J’avais pensé à évoquer la religion et la paternité, car mon père est devenu prêtre tandis que moi je suis athée et que je suis devenu père à mon tour. Tout repose sur les sentiments, sur mon ressenti dans ma relation avec mon père, avec mon fils et avec le christianisme. Je n’ai pas encore une idée complète de ce que donnera cette histoire… Je rassemble des bribes par-ci, par-là. J’en dessine sur un carnet. Tiens, si tu veux je peux te montrer quelques pages dessinées. C’est une exclusivité mondiale pour Zoo Le Mag ! [Rires…].

Jeffrey Brown : Le dessinateur et Star Wars
Jeffrey commente les dessins sur un carnet A5 [NDLR]

Par exemple, il y a cette histoire de moi jouant au foot, m’imaginant comme un super attaquant juste avant de tomber et de m’écrouler lamentablement, tête la première… Sur une autre page, je raconte un moment embarrassant lors d’une dédicace où un père demande à son enfant s’il veut rencontrer un vrai dessinateur… Et l’enfant de répondre sans pitié « NON ! ». [Rire…]. Rien n’est encore finalisé. Il n’y a clairement pas encore assez de matière pour une histoire. J’espère pouvoir en faire bientôt un petit livret. Cela fait deux ans que j’y pense. Par contre, la façon de travailler est très différente. Le dessin est plus libre, plus spontané, avec plus de contraste.s Dans Star Wars, il y a beaucoup plus d’obligations et de prérequis avec les personnages, les costumes, les véhicules… D’une certaine manière, ces « règles » graphiques interfèrent avec le dessin de mes travaux autobiographiques plus directs dans leur style. Il faut que je trouve un bon équilibre parce que si je me mettais à dessiner tous les détails dans une autobiographie, je perdrais l’émotion…

Ta mise en scène a évolué : dans Clumsy, tu restes avec des mêmes plans assez rapprochés. Sur ton carnet, les plans sont plus larges, presque cinématographiques. Penses-tu que Star Wars a influé sur ta façon de raconter les histoires ?

J.B. : Peut-être… [Jeffrey réfléchit plus longuement]. Je n’avais pas pensé à cette influence sur le placement des personnages, sur la façon de raconter des histoires. J’établissais plus des liens entre mes œuvres autobiographiques et Star Wars, mais pas entre Star Wars et mes travaux actuels ou futurs. En fait, j’avais plus pointé les différences sur les façons de travailler ou de dessiner. De toute façon, les liens existent entre Star Wars et les histoires autobiographiques. Dans Jedi Academy, il y a ainsi des parties réelles de ma vie, des anecdotes que j’ai adaptées, mais qui me sont vraiment arrivées comme des sentiments que j’ai pu éprouver quand j’étais à l’école, avec mes copains… Il y a ainsi un gag où un piment est mis dans le sandwich qui est inspiré d’une farce qu’on m’a faite enfant… Moi j’aimais bien manger épicé alors la blague était drôle à l’époque. Les réactions des personnages diffèrent nettement dans la BD…

Tes planches sont très propres et très nettes alors que tu dessines sur des petits carnets…

J.B. : Je ne sais pas si c’est aussi propre que tu l’affirmes… Il y a des traces et des corrections. À mon sens, les planches de Crumb sont, elles, incroyablement propres ! Pour ma part, j’ai toujours préféré dessiner sur des petits formats. Je parviens plus facilement à me concentrer sur l’essentiel. En fait, sur de grandes feuilles, il y a plus d’espace, donc plus de détails à dessiner : il faut remplir ce vide. Ces carnets sont pratiques, je dessine facilement au crayon, puis au feutre. Là, j’ai fait cette page dans l’aéroport pendant que j’attendais l’avion pour Paris. [Jeffrey est arrivé de Chicago la veille de l’interview NDLR]…


Dessines-tu tous jes jours ?

J.B. : Quasiment. En fait, je peux difficilement passer une journée sans dessiner. Sinon, il faut que je me rattrape le lendemain. C’est pour cela que je voyage avec des carnets, mes feutres et mes stylos. Dès que je peux, je dessine. Demain, je vais à un salon à Vichy. Je prends le train. Si je ne dors pas, je dessinerai sûrement et peut-être qu’une histoire en naîtra…

As-tu des liens avec la BD française ?

J.B. : [Jeffrey lit la couverture de son dernier livre en français]… Lé Man-dol-érien et l’en-fante… [Rires…] Ce n’est pas facile. J’ai perdu l’habitude… Je n’étais pas venu en France depuis 20 ans. Comme auteurs français, j’apprécie particulièrement Moebius. On reste dans la science-fiction. Évidemment, l’auteur est très connu et il est traduit en anglais. J’ai des albums chez moi. Sinon, j’aime beaucoup le travail de Frédéric Boilet et celui de Ludovic Debeurme.

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