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Rencontre avec Madeleine Pereira

Madeleine Pereira a 27 ans. Dans sa première bande dessinée, Borboleta, parue en avril 2024 aux éditions Sarbacane, elle raconte le sort des Portugais qui, comme son père, ont grandi sous la dictature de Salazar. Entretien.

Pouvez-vous retracer votre parcours et nous expliquer comment vous êtes entrée en bande dessinée ?

J'ai fait une Seconde générale assez nulle mais j'ai quand même réussi à rentrer en filière arts appliqués à Paris, où j'ai grandi. J'ai enchaîné sur les Beaux-Arts, pendant trois ans, à Epinal, dans les Vosges : c'était trop bien. Puis, j'ai fait ma troisième année à l'école européenne supérieure de l'image (EESI) à Poitiers et la cinquième à Angoulême, où je vis toujours. J'ai ensuite mené ma première résidence avec le Zinc Grenadine, à Epinal.

Quand la BD s'est-elle imposée à vous dans votre parcours artistique ?

Beaucoup de pratiques artistiques m'intéressent. La BD, mais aussi la gravure et la sérigraphie. À Epinal, je faisais déjà un peu de bande dessinée, mais sans forcément me dire que j'en ferais mon métier.

Borboleta

Borboleta © Sarbacane

Quand avez-vous eu l'idée de Borboleta, votre première BD sur les Portugais qui ont vécu sous la dictature de Salazar, jusqu'à la révolution des Oeillets, dont on vient de célébrer les cinquante ans en avril 2024 ?

J'ai grandi avec un père franco-portugais et une mère franco-brésilienne. Mes parents se sont rencontrés au Brésil, où ma mère était alors partie vivre. Aujourd'hui, ils ne sont plus ensemble. Mon père est arrivé en France à l'âge de 13 ans, mais quand on lui pose des questions sur son passé ou qui sont liées à l'intime, il ne parle pas. Quand je lui ai demandé de me raconter sa vie, comme on le voit dans la BD, il m'a aiguillée vers des amis qui, comme lui, ont vécu la dictature. Et même quand la bande dessinée est sortie et qu'il l'a lue, ça n'a pas changé grand-chose : c'est comme ça !

Comment a-t-il accueilli votre BD sur ses origines et son enfance ?

Quand je lui ai demandé s'il l'avait lue et ce qu'il en avait pensé, il m'a dit « c'est bien » et il a tout de suite changé de sujet. Mais il m'organise pas mal de dédicaces et de rencontres, comme récemment au consulat, et je l'ai entendu dire qu'il était fier que sa fille ait fait ça : c'est mignon.

Borboleta © Sarbacane

Borboleta © Sarbacane

À quel moment vous êtes-vous interrogée sur votre identité et vos origines portugaises au point de vouloir en faire une BD ?

Assez tôt, je crois. Plus petite, en rencontrant d'autres enfants d'origine portugaise, je trouvais qu'on n'avait pas les mêmes souvenirs du Portugal. Quand j'étais petite, on devait y aller tous les deux ans environ. C'est assez bizarre d'avoir une double culture : au Portugal, je me sens très française et ici, c'est l'inverse. Je parle portugais avec un accent pourri : mon père nous a toujours parlé portugais à la maison quand on était petits. Aujourd'hui, j'y retourne tous les deux ou trois ans. J'aimerais bien essayer d'aller y vivre, au moins pour devenir totalement bilingue. Le Brésil me plairait aussi, mais le Portugal est moins loin.


Comment avez-vous construit le scénario et le dessin de Borboleta ?

Dans un premier temps, j'ai récolté les témoignages des amis de mon père et dans ma famille. J'ai tout mené par téléphone et tout enregistré pendant le confinement. Ensuite, j'ai fait des petits story-boards de chaque Portugais qui témoignait. Ça m'a pris plus de deux ans de travail au total.

Borboleta © Sarbacane

Borboleta © Sarbacane

Mener cette BD jusqu'au bout vous a fait du bien ?

Oui, je pense que j'en avais besoin. Maintenant, je me dis qu'il fallait que je le fasse, en particulier pour mon père, que c'est fait et n'est plus à faire !

Avez-vous toujours envie de travailler sur le Portugal ?

Non, car les recherches documentaires étaient assez lourdes et le récit a été un peu douloureux à écrire par moments, en particulier quand j'aborde les violences intra-familiales dans la vie de ma tante.

Avez-vous des projets en cours ?

Dans ma tête, oui ! Mais il faut que je trouve le temps pour écrire mes histoires car je n'ai fait qu'enchaîner les résidences. C'est comme si j'avais trop d'envies mais pas de temps. On a un statut tellement pourri, les auteurs de BD, qu'il faut bosser à côté pour s'en sortir.

Actuellement, je fais les couleurs pour une BD. Et jusqu'au 19 juin, 2024, je suis en résidence pendant trois mois à Loudéac, en Centre-Bretagne, avec un autre auteur. On mène 36 ateliers dans des médiathèques et des écoles pour en faire une BD qui parle de ce territoire.

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