Bismarck ? La Lune ? Embarquement immédiat avec Alex Alice à bord de l’Éthernef pour fêter les dix ans du Château des étoiles. Depuis une décennie, il guide ses férus lecteurs dans cette course à l’éther, au cœur du XIXe siècle. Au fil des pages, suivez avec passion les héros de la série, adolescents, parcourant le ciel et la Terre à la conquête de l’espace, dans l’espoir d’ouvrir les portes des étoiles. Échange lunaire de notre chroniqueur Thibaut Midavaine avec un auteur, un artiste : Alex Alice.
© Alex Alice
Tu es l’auteur d’une adaptation BD des aventures de Siegfried, dans le Château des Étoiles il y a une forte présence de la Bavière et de la Prusse ainsi que des références à Wagner. Tu es fan de la culture nordique ?
Alex Alice : Disons que je voulais faire une histoire à la Jules Verne, dans l’espace, au XIXème siècle, mais je ne savais pas exactement ce que j’allais y raconter. Puis j’avais envie d’une histoire sur Louis II de Bavière, mais je ne savais pas sur quoi exactement. L’étincelle, c’est quand j’ai compris que c’était le même univers. J’ai donc décidé de raconter la conquête de l’espace financée par Louis II de Bavière !
A partir de là, le personnage devient central pour le récit. Or il se définit comme un énorme fan de Richard Wagner. En arrivant sur le trône, la première chose qu’il fait est d’inviter le compositeur et de financer ses créations, notamment son opéra d’avant-garde à Bayreuth. Il va construire ses châteaux en référence aux mythologies que Wagner sollicite… Les mythologies nordique et germanique notamment, mais aussi la Table Ronde.
Comme la plupart des personnages sont des serviteurs du roi de Bavière au Neuschwanstein autour duquel ils construisent leur vaisseau spatial, ils baignent complètement là-dedans. J’ai donc mis les premiers albums sous une référence à Parsifal et aux Chevaliers de la Table Ronde. Comme j’avance dans le récit et que les personnages baignent dans cet univers, les références reviennent facilement.
Je suis assez content de les suivre là-dessus. Je trouve ça chouette d’avoir des échos mythologiques dans mon travail et le spatial appelle facilement ce genre de références.
Ça donne plus de dimension ?
A.A : Oui et on part vite dans les absolus quand on est dans l’espace. Il y a un rapport au divin, qu’il soit chrétien ou païen. Comme mes personnages sont des Européens du XIXème siècle, ils sont imprégnés de la culture chrétienne mais également d’une fascination pour les cultures antiques et le paganisme. C’est une partie du sujet de Parsifal et surtout de Tannhäuser.
On a souvent prêté un lien de ta BD avec le travail de Hayao Miyazaki. Moi j’ai surtout vu du Tintin et Blake & Mortimer ...
A.A : Pour moi, la référence à Tintin était une évidence avec le diptyque lunaire d’Hergé que j’adore (Objectif Lune et On a marché sur la Lune). Et j’avais envie d’avoir une approche tout public qui était le crédo du journal de Tintin : donc il y a un ton que j’essaie de rendre palpitant, une aventure dans laquelle j’essaie de mettre beaucoup d’humour… sans désamorcer la tension. Hergé le fait super bien.
Alex Alice © Rue de Sèvres, Paris, 2024
L’influence d’Edgar Jacob est moins consciente. Je n’ai pas pensé à Olrik en créant le méchant (Hagen von Gudden)… C’est en me relisant que ça m’est apparu plus clairement. Le méchant à fine moustache noire, c’est un espèce d’énorme cliché du récit populaire depuis le XIXème siècle. C’était devenu un tel cliché que plus personne ne le faisait… donc je me suis dit que c’était le moment de ressusciter ce méchant moustachu increvable qui revient d’épisode en épisode. (rire)
Par contre, pas de ligne claire : c’est surtout de la peinture. Tes contours sont flous… on dirait que tu peins un rêve.
A.A : Tant mieux parce que c’est ce que je cherchais à évoquer. Un technique qui puisse rappeler une forme de mystère, d’onirisme et de réalité qui nous emmène ailleurs… même au début, quand on est encore sur Terre. Je voulais quelque chose qui suggère le merveilleux à l’image.
© Alex Alice
Ça aide à la suspension d’incrédulité pour accepter le cosmos fantasmé du XIXème siècle que tu représentes.
A.A : C’est un avantage de la BD de pouvoir emmener le lecteur dans un univers différent avec ses propres règles. Alors par contre, j’essaie de garder un récit qui aurait été crédible à l’époque. Par exemple, pour les questions de pression dans le vide spatial – que je remplace par l’éther – je me suis détendu un grand coup quand j’ai relu Autour de la Lune de Jules Vernes.
A un moment, un des deux chiens meurt : du coup ils décident de le balancer dans l’espace. Sauf qu’ils n’ont pas de sas : Un des personnages suggère juste d’ouvrir et de balancer le cadavre du chien rapidement et puis ça ira… (rire)
Alex Alice © Rue de Sèvres, Paris, 2024
Après, la Science Fiction est là pour s’exprimer sur le présent. Ton uchronie s’interroge sur la conquête spatiale et le progrès ?
A.A : Oui, c’est le reflet d’interrogations, d'espoirs et d’inquiétudes qui me travaillent.
Peut-on voir dans le Château des Étoiles une résonance avec la conquête spatiale actuelle ? Par exemple, une similitude entre ton Louis II de Bavière et Elon Musk?
A.A : J’ai eu l’idée du Château des Étoiles il y a un petit moment donc avant la conquête de l’espace privée. C’était le moment où les Américains abandonnaient le programme de la navette spatiale, un moment déprimant quand on a grandi comme moi en rêvant face aux décollages de Columbia.Quand je regardais les décollages, j’étais fasciné : pour moi c’était le futur. Tout ça s’est un peu arrêté au début des années 2000… Donc je me disais que c’était la fin de la conquête spatiale. Et c’est à peu près à ce moment que j’ai développé ma série.
Puis, dans la réalité, ça a redémarré, ce qui est formidable, mais par le privé, ce qui est regrettable. Regrettable, parce que je préfère quand c’est une aventure collective.
La différence entre Louis II et Elon Musk c’est que le premier y va pour la beauté du geste et pour son plaisir personnel quand le second veut créer des colonies sur Mars. Un bel objectif, mais vu ses positions politiques, je n’envie pas les colons qui iront sur Mars avec lui. (rire)
Alex Alice © Rue de Sèvres, Paris, 2024
Tu ne mets pas de côté la politique. Tu fais de Otto von Bismarck un personnage assez lucide sur ce qui se passe dans ton récit.
A.A : Certes j’ai fait un « méchant à moustache » (Gudden), mais au-dessus de lui j’ai fait un personnage qui survole complètement la mêlée, à savoir Bismarck. Et pour le coup, je me suis contenté d’aller chercher la réalité du personnage historique. Et encore, j’ai pas tout mis : ce personnage est incroyable !
Il mesure deux mètres. Il bote. Il possède deux énormes chiens. Il cite Shakespeare en permanence. Ses propres paroles sont devenues des citations historiques… C’est un opposant extraordinaire. Il voit loin. Il manipule tout le monde. Il reconstruit l’empire allemand en manipulant Napoléon III. C’est un homme d’état considérable qui pratique une realpolitik totalement machiavélienne. Il ne se réjouit pas du malheur des autres, mais il a une sorte de conscience absolue de sa mission et de son rôle historique. Tout le reste s’efface par rapport à ça.
Plus actuel. Après les événements des jeux olympiques de 2024, la vasque olympique ne t’a-t-elle pas évoqué le globe immense que tu as dessiné pour le pavillon martien (dans le tome 6) ?
A.A : Si, carrément ! J’ai pas mal d’amis qui m’ont dit : « Oh… on dirait ton album !»
En fait, ce sont les mêmes inspirations : y a eu un ballon monté au même endroit par Nadar. Il s’appelait « Le Géant ». Il est d’ailleurs mentionné dans le premier album du Château des Étoiles. Des gravures révèlent une véritable folie du ballon au XIXème siècle.
Les gravures de l’exposition universelle sont également de grosses sources d’inspiration. Elles représentaient des projets complètement fous ! L’ambition des JO c’était bien, mais au XIXème siècle on se permettait de rêver. Il ne s'agissait pas de rendre la Seine baignable, mais de la dévier pour faire du Champs de Mars un lac !
On rêvait grand !
© Alex Alice
La triple page de ton « Exposition Interplanétaire de 1875 » rappelle énormément l’affiche officielle des JO de Paris de 2024 !
A.A : On est allé voir les mêmes sources d’inspiration. Ça m'a fait plaisir de voir un événement comme ça qui mobilise toute la capitale, qui met en avant la beauté de la ville. C’est vrai que les expositions universelles parisiennes, c’est quelque chose que j’aurais voulu vivre… Donc là c’était l’occasion de plonger dedans très sérieusement.
Pour la suite de la série, tu comptes faire combien de tomes ?
A.A : Je n'ai jamais voulu annoncer le nombre de tomes. J’ai une fin. Je sais comment ça se termine. Mais j’ai toujours voulu laisser la place à l’inspiration et aux personnages qui emmènent le récit dans des directions insoupçonnées. Je veux garder une certaine fraîcheur par rapport à ça. Dès que je commence un nouvel album, je me dis que tout est possible et j’ai jamais voulu fixer ça à l’avance.
Il faut dire que les personnages ont acquis une autonomie très forte et je ne fais plus ce que je veux avec…
A la fin du tome 7, tu teases une nouvelle série avec des pirates ?
A.A : Ahaa… (sourire)
Petite aparté d’autocritique. Dans ton métier d’auteur, dessinateur, illustrateur et scénariste, estimes-tu avoir encore une marge d’amélioration dans un de ces domaines ?
A.A : Je suis suffisamment content de ce que je fais pour le publier. Si je n’en étais pas content, ça ne serait pas poli de le présenter aux gens (rire). Mais c’est vrai que quand je termine un album, j’ai envie de le recommencer. Pour l’instant j’ai résisté à la tentation de faire des remake de mes bouquins. On a vu des auteurs, que ce soit en BD ou au cinéma, revenir sur leurs œuvres un peu plus tard pour les améliorer. Ça peut être intéressant mais moi, les artistes que j’aime bien, je préfère qu’ils proposent quelque chose de nouveau. Donc j’essaie de progresser en faisant... En me disant que le prochain sera mieux, plutôt que de ressasser les choses. On est toujours en train de jongler entre l’orgueil de se dire « Ce que je fais mérite d’être publié » et l’humilité d’accepter qu’on a le niveau d’aujourd’hui et que ce sera mieux demain. (rire)
Le plus important c'est que j'ai toujours cette impression de progresser.
Alex Alice © Rue de Sèvres, Paris, 2024
Parmi les BD que tu as faites, y en a-t-il une que tu voudrais refaire car elle ne te parait plus aussi bien quand tu la vois aujourd’hui ?
A.A : Je suis porté par le rêve de ce que va donner le livre et l’émotion que je veux transmettre. C’est pareil quand je fais de l’illustration ou de la peinture.
Quand j’ai fait Le Troisième Testament, ma première série, j’étais vraiment à fond. Ce n’était pas mon sujet de prédilection car j’avais déjà en tête le genre d’univers de Siegfried ou du Château des Etoiles. Mais quand Xavier Dorison est venu avec le début de l’histoire et les personnages… ça marchait bien : c’était une super histoire !
Aujourd’hui, y a quantité de choses que je ferai mieux, mais par contre l’état d’esprit dans lequel j’étais quand je l’ai faite, je ne l’ai plus. Donc je pense que si je dessinais aujourd’hui ce serait plus beau, mais si je décidais de réécrire, ça ne serait pas les mêmes lignes car je ne suis plus la même personne.
L’attention à l’inspiration, à l’envie et à la raison pour laquelle on fait les choses, c’est pour moi extrêmement important. Je ne suis pas du tout quelqu’un qui néglige le savoir-faire et la technique, mais au final ce qui compte c’est l’inspiration, l’intention artistique au sens large, que ce soit dans la dramaturgie, le dessin ou la couleur. Un moment qui est difficile à exprimer par des mots. Ça, c’est complètement irremplaçable et on sait que ça évolue avec le temps.
J’ai commencé assez jeune et j’ai vite appris à respecter ces impulsions de départ.
Surtout dans ce métier où on travaille longtemps sur un album : un à deux ans de travail. Avoir cette envie intacte et en faire passer 60 %, 70 % ou 80 %, c’est extraordinaire… et après… les défauts… voilà ! (haussement d’épaule)
En BD, le lectorat comprend très bien ça. On pardonne beaucoup aux auteurs qui sont souvent des couteaux suisse qui font un peu tout… Généralement pas bons partout. Mais on leur pardonne parce qu’ils font passer quelque chose d’unique.
Alex Alice © Rue de Sèvres, Paris, 2024
Question inverse : y a-t-il une BD pour laquelle tu te dis : « J’arriverai jamais à faire mieux que ça » ?
A.A : Honnêtement je pense qu’en termes de dessin, j’aurais moyen de faire mieux sur à peu près tout. je suis parti sans formation initiale : je me forme depuis. C’est long à maîtriser mais c’est ce qui fait la beauté de l’exercice. Mais après, en termes de narration, je suis très content du Tome 2 du Château des Étoiles. C’est une fin de diptyque que j’ai trouvé satisfaisante à écrire. Les deux premiers tomes fonctionnent vraiment bien en termes d’émotions, de thématique, d’action et de spectacle…
Et en plus à la fin il y a une relance qui fait que la série continue… L’univers s’ouvre dans la dernière page d’une manière que j’aime bien. Je suis très content des deux dernières cases. Pour suggérer au lecteur qu’on va aller sur Mars, Sophie trempe son doigt dans la confiture de fraise qui met du rouge sur la carte du Système Solaire… Puis il y a ce CUT où on passe de cette tache rouge à une vue de la planète Mars. C'est le genre de raccourci narratif où y a une confrontation d’échelles et d’implications que j’adore.
En hommage à Bernard Pivot, je voudrais te faire subir son questionnaire. Quel est ton mot préféré ?
A.A : J’aime bien « Passion ». Il a une polysémie riche et fascinante !
Un mot que tu détestes ?
A.A : Je n’aime pas trop « Steampunk ». Je préfère « Merveilleux Scientifique »
Alex Alice © Rue de Sèvres, Paris, 2024
Quelle est ta drogue favorite ?
A.A : La musique pour écrire. Quand j’écris, j’écoute souvent du classique ou de la Bande Originale. Par contre, je vous rassure, je ne mets pas Wagner en boucle ! (rire)
Le son, le bruit que tu aimes ?
A.A : La pluie en forêt.
Le son, le bruit que tu détestes ?
A.A : le ventilateur de l’ordinateur.
Un ajout de ma part comme tu dessines : as-tu une couleur préférée ?
A.A : Ça se voit sur mes bouquins : je suis dans le bleu.
Alex Alice © Rue de Sèvres, Paris, 2024
Et une couleur que tu détestes ?
A.A : Il n’y en a pas. Je pense que quand on peint, on les aime toutes. Ça dépend surtout du contexte. A peu près n’importe quelle couleur peut être n’importe quelle autre couleur en fonction du contexte. Je dis que j’aime le bleu, mais c’est un défaut. J’y reviens assez facilement parce que c’est une gamme que je maîtrise bien. Mais non : il ne faut pas détester une couleur.
Ton juron, gros mot ou blasphème préféré ?
A.A : J’aime bien « Pustekuchen ! ». Je ne sais plus ce que ça veut dire (équivalent de « Des clous ! ») mais je l’ai mis dans la bouche de Hans un paquet de fois ! J’ai beaucoup de plaisir à aller chercher les jurons et les interjections dans d’autres langues.
Si tu inventais une monnaie, qui figurerait sur ton billet de banque ?
A.A : Tintin. Ce serait beau, et ça rendrait les ayant droits complètement fous !
Alex Alice © Rue de Sèvres, Paris, 2024
Y a-t-il un métier que tu détesterais faire ?
A.A : Avec toute l’admiration que j’ai pour les médecins, je ne pourrais pas faire ça ! J’ai beaucoup de reconnaissance envers les médecins et les profs. Je suis déjà intervenu dans des écoles à différents niveaux. Le fait de l’avoir fait renforce mon admiration. Mais alors tout le domaine médical, c’est pas la peine d’essayer… J’aurais eu du mal dans une école d’art à l’ancienne au moment de disséquer un cadavre pour étudier sa morphologie !
Si tu pouvais être réincarné en une plante, un arbre ou un animal…
A.A : Un piaf un peu sympa… Un albatros. Pour la mer et le ciel. Je ne pense pas qu’il ait beaucoup de prédateurs. C’est le décollage qui n'est pas très gracieux ! (rire)
Si Dieu existe, que voudrais-tu qu’il te dise après ta mort ?
A.A : « Tiens ! Voilà ma baguette magique. Tu veux jouer ?» Oui, dans cette hypothèse, Dieu a une baguette magique. à défaut, je fais de la BD !
#EnCouverture
#BD
#ZOOLEMAG101
Fantastique
Votre Avis