Entrepreneuse et pour la première fois scénariste de BD, Audrey Destang publie « Succès : mode d’emploi – Les conseils des meilleurs entrepreneurs de France pour réussir » (Dunod), un livre illustré par Kokopello. Ensemble, ils signent une galerie de portraits d’entrepreneurs, entre conseils concrets et regard sensible. Entretien croisé.
ZOO : Comment est née votre collaboration ?
Kokopello : On s’est croisés lors d’une soirée autour du projet Popee* qu’Audrey avait fait avec Mathieu Sapin. J’avais déjà ce regard d’auteur de BD « reportage », plutôt politique, et l’idée de travailler sur l’entrepreneuriat me permettait d’explorer un autre terrain de jeu. Très vite, on a vu que nos approches étaient complémentaires.
Audrey Destang : De mon côté, j’avais envie d’un livre vivant, incarné, pas d’un manuel abstrait. L’illustration d’Antoine apportait ce ton juste : sérieux sans être pesant, drôle sans moquerie. Ça a tout de suite matché.
Concrètement, comment avez-vous travaillé à deux ?
Audrey : Je rencontrais les entrepreneurs, souvent chez eux ou dans leurs lieux : Jean-Michel Aulas à la LDLC Arena à Lyon, Nicolas Chabanne, Cofondateur du mouvement C'est qui le patron ?!, au salon de l’agriculture, au milieu de « son » monde… C’était important pour capter une vérité. J’écrivais ensuite les portraits, qu’Antoine recevait avec parfois l’audio. Le livre a été pensé comme un parcours, avec un vrai rythme.
Kokopello : À partir du texte d’Audrey, les idées d’images venaient assez intuitivement. Je proposais des crayonnés, on échangeait (WhatsApp, cafés…), puis j’affinais. On a aussi maquetté ensemble : ouverture, accroche, alternance des séquences, et un code couleurs propre à chaque portrait pour marquer les univers. L’objectif : un livre narratif et visuel, pas un catalogue.
Un mot sur la sélection des profils et des rencontres qui vous ont marqué·e·s ?
Audrey : Je voulais une diversité réelle des secteurs (coiffure, fintech, industrie, sport, etc.). Côté femmes, ça a été un vrai défi : on en voit moins médiatisées et beaucoup préfèrent mettre la marque en avant plutôt que leur personne. Les lieux m’ont marquée : parler à Olivier Goy, fondateur de la fintech Octobre (ex Lendix), ambassadeur de l'Institut du Cerveau et parrain des Invincibles, via son interface d’IA (il mime, mais c’est la machine qui répond), rencontrer Jean-Michel Aulas dans « son » arena…Voir chacun dans son écosystème change tout.
Kokopello : J’ai eu un gros choc en travaillant le portrait d’Olivier Goy, atteint de la maladie de Charcot. Sa résilience est impressionnante. Graphiquement, certains univers étaient un plaisir à mettre en scène : le salon de Franck Provost, la forêt d’Augustin Paluel-Marmont, cofondateur de la marque Michel & Augustin, la maison de Catherine Pinvin, fondatrice de la marque haut de gamme pour enfants Tartine & Chocolat, etc. De vrais « personnages » de BD.
Avez-vous fait valider les textes et dessins par les intéressés ?
Audrey : Oui, surtout pour les aspects juridiques (marques, sociétés cédées, etc.). Très peu de coupes au final. Un point récurrent : la sécurité (ne pas mentionner précisément lieux de vie/enfants après certains faits divers). En revanche, une grande transparence sur l’argent.
Kokopello : Habitué aux politiques, je m’attendais à des relectures tatillonnes ; surprise : les entrepreneurs ont joué le jeu, y compris pour les caricatures. Ça été très fluide.
« Amuse-toi dans ton travail, ne subis pas ».
Qu’avez-vous découvert sur vous-mêmes au fil du livre ?
Kokopello : Certains parcours donnent une pêche énorme. Et une phrase m’accompagne : le conseil de Julia Perroux, Cofondatrice de la marque de produits bébés Good Goût, « Amuse-toi dans ton travail, ne subis pas ». En BD, accepter une commande qu’on ne sent pas, c’est risquer de mal la faire. Je veux l’appliquer avant chaque projet.
Audrey Destang : Deux choses. D’abord, même les « géants » gardent un complexe : Aulas regrette de ne pas avoir fait une grande école ; le succès n’est jamais total. Ensuite, sur l’équilibre pro-perso : beaucoup ont 3 à 5 enfants. Ça montre que c’est faisable, différemment selon les moyens de chacun, mais possible. C’est motivant.
Quels conseils du livre vous parlent le plus ?
Kokopello : Je me répète, mais « amuse-toi, ne subis pas ». C’est mon garde-fou.
« À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. »
Audrey : Une phrase chère à Firmin Zocchetto, fondateur de Payfit : « À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. » Beaucoup d’entrepreneurs aiment le risque : ça n’est pas la quête du bonheur, mais celle d’un défi qui fait grandir.
Vous cherchez aussi à démystifier l’entrepreneuriat. Quel mythe vouliez-vous bousculer ?
Audrey : Le mythe de la liberté absolue. En réalité, personne n’est pleinement libre : lois, institutions, moralité sociale, responsabilité vis-à-vis des équipes… Et plus on réussit, moins on est libre, car plus visible et responsable. Le livre montre cette ambivalence. Kokopello : Je découvrais ce monde. J’avais déjà vu la multiplicité des patrons en PME ; ici, je confirme : pas de caricature simple « méchant patron/profit ». Des écosystèmes et des parcours complexes, très dessinables.
Ton lectorat habituel (politique, géopolitique) te suivra-t-il, Kokopello ?
Kokopello : La distribution et la forme diffèrent d’une BD de reportage classique. Je ne m’attends pas à embarquer tout mon public, mais certains viendront par curiosité et par affinité avec le thème. Et c’est bien : j’aime tester d’autres registres.
Comment as-tu fixé ton dessin sur ce projet ?
Kokopello : Intuitif mais cadencé : une accroche visuelle, des situations imaginées à partir des images que les entrepreneurs convoquent en parlant. Pas de satire « méchante », mais un humour qui désacralise sans abîmer. Et un travail de couleurs pour que chaque chapitre soit un univers.
ZOO : Un dernier mot pour les lecteurs ?
Audrey : Le livre a été pensé comme un guide-cadeau qu’on peut offrir en entreprise ou à quelqu’un qui hésite à se lancer : un concentré d’élan, d’exemples et de conseils actionnables.
Kokopello : Et, j’espère, un plaisir visuel. Si ça donne envie de dessiner sa propre trajectoire, on a gagné.


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