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La planche de la semaine : Brought to light de Bill Sienkiewicz

Un vendredi sur deux, on découvre ensemble une planche de l'immense collection de la Cité de la bande dessinée et de l'image d'Angoulême qui propose jusqu'en août 2026 une exposition fascinante et sans cesse renouvelée : Trésors des Collections. Dans la section Comics , découvrez la planche #40 : Brought to light de Bill Sienkiewicz

Bill Sienkiewicz | Alan Moore | Frank Miller | Alberto Breccia | Howard Chaykin : La planche de la semaine : Brought to light de Bill Sienkiewicz

Le mot du commissaire de l'exposition, Jean-Pierre Mercier

Bill Sienkiewicz est l’un des artistes américains qui a le plus contribué au renouvellement graphique des comics américains dans les années 1980. Mêlant trame, peinture acrylique, collages…, il livre des pages composites qui rompent avec l’esthétique du genre instaurée par Jack Kirby et Steve Ditko dans les années 1960.

Sienkiewicz a pourtant commencé par dessiner à la manière de Kirby (qu’il a avidement lu dans sa jeunesse) et surtout de Neal Adams. Dessinateur précoce et doué, il est remarqué par Vince Colletta (dessinateur et éditeur réputé de chez Marvel) et publie ses premières planches à l’âge de 19 ans. S’ouvrant ensuite à l’influence de nombreux dessinateurs et illustrateurs (dont l’argentin Alberto Breccia, dont il reconnaît le rôle déterminant dans son évolution), Sienkiewicz dessine des histoires de Thor, des épisodes de l’adaptation du Retour du Jedi en bande dessinée et une histoire très remarquée de Batman pour DC Comics.

Mais c’est surtout sa rencontre avec Frank Miller pour Elektra : Assassin, qui va marquer les lecteurs, ainsi que la version que le même duo va donner de l’univers de Daredevil. Il travaille ensuite avec le scénariste anglais Alan Moore, avec lequel il entame le vaste projet Big Numbers qui tourne court, suite à une mésentente entre les auteurs. Ils joignent cependant de nouveau leurs efforts pour Brought To Light, dont la planche de ce jour est extraite. Dénonciation des agissements de la diplomatie américaine en Amérique du Sud dans les années 1980, cette œuvre frappe par sa froide virulence, et permet à Sienkiewicz de dessiner quelques-unes de ces pages stylistiquement les plus radicales.

Il a depuis publié la biographie de Jimi Hendrix, une adaptation BD de Moby Dick, le roman d’Herman Melville et fourni de nombreux visuels pour des DVD ainsi que des designs pour des émissions de télévision, sans cesser de travailler pour les éditeurs américains de bande dessinée, reprenant entre autres Green Lantern, Superman et Sandman…


Le mot du chroniqueur de ZOO, par Frédéric Grivaud

Bill Sienkiewicz c’est un peu l’enfant rebelle des années 80 chez Marvel. Débutant avec un dessin relativement référencé (plus particulièrement Neal Adams) sur des titres très mainstream comme Fantastic Four, il va véritablement commencer sa mue vers un style personnel tout au long de son run sur Moon Knight de 1980 à 1984, digérant ses influences et commençant à progressivement s’en abstraire pour littéralement exploser sur New Mutant entre 1984 et 1985, où il apparait réellement comme LE nouveau souffle qui se débarrasse de la patte des anciens pour se construire une nouvelle voie, dans la lignée des Miller ou Chaykin qui avaient déjà repoussé les limites du médium.

Désormais étiqueté révolutionnaire du genre, Sienkiewicz se retrouve d’abord à travailler avec Frank Miller, avec qui il va produire un premier Graphic Novel sur Daredevil, puis une mini-série Elektra Assassin. S’étant à ce moment-là forgé un style en couleurs directes très fort et audacieux, il se lance en solo, en 1988, sur Stray Toasters qui bouillonne d’idées graphiques sur chaque page, jouant avec des collages, des changements de style incessants. Sienkiewicz se révèle avide d’expériences picturales, ce qui l’amène ainsi, en 1989, sur Brought to light, au côté d’Alan Moore, déjà considéré comme l’un des plus importants scénaristes du moment. Au sommet de leur carrière respective, les deux créateurs livrent, sous la direction de l’éditrice Joyce Brabner, un violent pamphlet contre les exactions de la CIA, notamment en Amérique du Sud. Ce contenu hautement politique est d’une grande virulence et le style de Sienkiewicz est en parfaite adéquation avec l’esprit et le ton employé dans le scénario de Moore.

La planche présentée ici montre bien l’énergie qu’il pouvait déployer à cette époque, tout en restant concentré sur une cohérence d’ensemble. Néanmoins, le lettrage changeant rend parfois la lecture difficile et l’album amène aussi de temps à autre Sienkiewicz à trop « exploser » au détriment de la lisibilité.

Très vite introuvable, Brought to light demeure malgré tout une œuvre atypique, complètement en marge de tout ce qui se faisait alors. Encouragé par cette collaboration, Alan Moore qui venait de créer sa propre boite d’édition, Mad Love, demande ensuite à Sienkiewicz de collaborer à nouveau avec lui sur un projet extrêmement audacieux, censé s’étirer sur 12 épisodes, Mandelbrot Set qui deviendra ensuite Big Numbers. Mais l’artiste, intimidé par le scénario très exigeant de Moore et des tensions sans cesse grandissantes entre eux deux, n’ira pas plus loin que le second numéro, ce qui provoquera dans la foulée la chute de Mad Love et une brouille définitive avec le scénariste.

Et même s’il livre la même année sa très belle adaptation de Moby Dick et quatre ans plus tard un superbe hommage à Voodoo Lounge de Jimmy Hendrix, Bill Sienkiewicz va petit à petit se laisser absorber par des boulots de simple encreur sur Batman ou Spider-Man, entre autres, laissant derrière lui cette flamme incroyable qui brilla si vivement quelques années auparavant…

Bill Sienkiewicz | Alan Moore | Frank Miller | Alberto Breccia | Howard Chaykin : La planche de la semaine : Brought to light de Bill Sienkiewicz

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