Rodolphe, un des scénaristes les plus lettrés de la bande dessinée, raconte avec talent la vie démentielle d'Alfred Jarry, le père d'Ubu roi. Cette nouveauté de Casterman Ecritures est un petit bijou. Le noir et blanc rondouillard et sans fioritures de Daniel Casanave permet de saisir toute la folie de cet auteur. Cornegidouille !
Un fou, certes. Mais un fou d'un immense génie. A tel point que son héros le plus connu, le Père Ubu, a donné naissance à un adjectif, souvent utilise à tort et à travers, mais qui désigne bien quelque chose de complètement absurde. Alfred Jarry était un être fantasque, rongé par ses obsessions et ses dépendances, aussi bon ami qu'infréquentable. S'il avait un entourage de façade, cet homme de lettres au vocabulaire outrancier et fasciné par ce pistolet qu'il sortait à tout va, était en réalité bien seul.
A part son ami Guillaume Apollinaire, auteur des Alcools qu'aimait tant Jarry, fidèle compagnon de la dive boutanche, il se trouvait en réalité bien seul et multipliait les dettes. Mais c'est aussi un personnage très touchant que brosse Rodolphe. Une fois de plus, il maîtrise parfaitement son sujet. Ce récit de vie construit avec connaissance nous entraîne dans l'arrière-boutique spirituelle du père d'Ubu. Et Merdre si ça ne plaît guère à ses détracteurs.
On ressent tout cela dans le dessin à la fois précis et enlevé de Daniel Casanave. Le noir et blanc s'imposait pour décrire ce que la collection Ecritures sait produire de meilleur : raconter les petites histoires des femmes et des hommes qui ont fait la grande.
Jarry n'a vécu que 34 ans. Mais intensément, au rythme de ses absinthes quotidiennes qui lui ont brûlé le cerveau. Il a fini par s'identifier à son personnage constamment sous l’emprise de la bouteille, ce qui ne l'a pas empêché d'écrire de nombreux autres livres passionnants.
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