Légende et réalité de Casque d'Or

Récompensé par le prix de la meilleure œuvre réaliste française, lors du festival d'Angoulême 1977 avec Légende et réalité de Casque d’Or, Annie Goetzinger fait sensation dès son premier album. À 25 ans, elle entre dans le petit cercle des autrices de BD par la grande porte. Tout de suite, on remarque son sens appuyé de l’esthétisme qui renvoie à l’Art Nouveau mêlé au froufrou des robes à balconnets. Elle se penche sur l’histoire d’Amélie Elie, plus connue dans le tout Paris noctambule sous le surnom de Casque d’Or, l’amie des « Apaches », le verbe fleuri, la gouaille facile et provocatrice… 44 pages qui replongent dans l’Histoire du Paris de la Belle Époque.

Sorti en 1952, le film Casque d’Or de Jacques Becker a marqué les esprits et imposé la légende de la belle Amélie Elie. La jeune femme symbolise une période de l’histoire parisienne où s’entremêlent les violents affrontements entre la police et les Apaches, une bande de criminelles très active au début du XXe siècle.

Une artiste à la conquête de Paris

Annie Goetzinger se concentre dès le début sur le lien qu’entretient l’héroïne avec les deux figures rivales Joseph Pleigneur, dit « Manda » et François Leca, en évoquant assez rapidement son passé et son entrée dans la prostitution. On plonge alors dans les milieux interlopes de l’époque, entre vols, attaques meurtrières, cavales et dénonciations. L’autrice prend soin à retranscrire le langage très particulier de cette bande de zozos, ce qui peut parfois nécessiter une traduction en bas de page.

Malgré tout, la lecture s’en retrouve aussi de temps à autres alourdie tant on a l’impression de ne pas toujours avoir les clés, l’effet est renforcé par un lettrage à la main assez inégal, globalement. De plus, Annie Goetzinger ne pousse pas vraiment le propos et use régulièrement d’ellipses impromptues, au point où l’on peut avoir le sentiment d’aller un peu vite dans le déroulement des évènements, de rester dans l’essentiel.

Mais l’album vaut bien plus pour les qualités graphiques déjà bien aiguisées d’une jeune artiste qui a à peine fait quelques pas dans Pilote et Lisette. Le trait est sûr et expressif, les femmes dégagent un charme savoureusement rétro qui rappelle les vieilles affiches. On se laisse séduire par Amélie la Sauvage, par ses atouts qui enivrent ses amants. Mais en parallèle, on apprécie le sens de la mise en page, très Art Déco où Annie Goetzinger s’amuse avec les ornements qui viennent garnir le tour des cases, sans trop en faire non plus : il ne s’agit pas ici de faire de l’illustration, mais bel et bien de garder une narration fluide.

Si l’écriture peut deci-delà révéler quelques maladresses, le dessin laisse deviner un potentiel qui va rapidement faire ses preuves. Il suffit d’observer la carrière assez impressionnante de Goetzinger par la suite pour s’en convaincre.

Il est d’ailleurs très intéressant d’observer le travail en noir et blanc sur cet album pour apprécier la finesse de l’encrage et le sens des détails dans les vêtements, les dentelles, les décors. Un soin délicat que l’on retrouve dans les diverses physionomies qui jalonnent ces planches.

Relire aujourd’hui Légende et réalité de Casque d’or d’Annie Goetzinger nécessite toutefois de replacer l’œuvre dans son contexte, l‘émergence d’une bande dessinée adulte qui prend ses marques et les débuts d’une artiste qui tente des choses, afin de trouver son propre langage.

Une petite curiosité.