Avec ce nouveau titre dense et nébuleux, Daisuke Igarashi propose une version de notre monde à la fois terrible et beau. Une lecture métaphysique qui interroge notre perception du monde.
Dans un futur proche, la science est parvenue à mêler les ADN humain et animal. L’hybridation est désormais une affaire de design. Il suffit de choisir une forme pour obtenir certaines capacités physiques. Le résultat de ces mélanges s’appelle « Humanized Animals ». L’entreprise qui conçoit ces êtres s’en sert avant tout à des fins militaires, mais tout le monde ne semble pas poursuivre les même objectifs. À l’heure où se prépare un bouleversement biologique d’ampleur, qu’adviendra-t-il de la société humaine ?
Daisuke Igarashi est un auteur complexe. Ses œuvres, plus ou moins géopolitiques, entrelacent invariablement graphisme singulier et interrogation métaphysique. Il fabrique des histoires denses que le lecteur devra lire avec attention. Parvenir à plonger dans ses univers garantit un voyage époustouflant dont le spectateur ne ressortira pas indemne. Sa perception du monde est agrémentée de nouveaux points de vue, parfois insoupçonnés.
La quête des origines
Designs, écrit et dessiné en 2015, ne déroge pas à la recette magique de Daisuke Igarashi. Comme dans Les Enfants de la mer, l’auteur propose de partir à la recherche du sens de la vie. À travers des expérimentations biologiques, il nous renvoi à la définition de l’humain, et nous interroge sur son devenir. L’humain peut-il s’améliorer lui-même ? Peut-il modifier l’ADN du vivant pour son propre confort ? Quelle nouvelle société peut naître d’une révolution si profonde ?
À travers un récit d’anticipation aux multiples personnages, Daisuke Igarashi s’attaque à notre perception du monde et plus précisément à la façon dont chaque être vivant, humain ou non, perçoit son environnement : un chien s'appuie sur les odeurs, un dauphin sur les sons. Comment interagir avec des presque-humains qui conçoivent l'espace de façon si sensoriellement différente de la société dominante ? Dans ce manga, l’auteur mène une expérience de pensée ambitieuse, touchant la corde sensible de l’égo humain : sa place dans la Nature.
Designs T.1 © Noeve Grafx
Conception d’un traité philosophique
Daisuke Igarashi époustoufle avec son graphisme si singulier. Il est à la fois fourni en détails, tout en finesse et en fragilité, comme désarticulé. Il se dégage de cette légèreté graphique une force étonnante qui intime l’humilité.
Si son graphisme singulier comblera le lecteur le plus téméraire, plonger dans son monde est une affaire de vétéran du genre SF. Daisuke Igarashi bâtit un univers large et très complet. Pour aborder le fond du sujet, l’auteur tente de dépeindre le tableau le plus complet possible, avec quelques facilités à la clef.
Parmi les personnages de Designs, un plus bavard que les autres permet au lecteur de comprendre les enjeux géopolitiques et commerciaux des Humanized Animals et l’entreprise qui en est à l'origine. Sans grand discours, Daisuke Igarashi a du mal à se faire comprendre. Recourir à un personnage bavard, sorte de facilité scénaristique, serait donc un mal pour un bien ? Chaque lecteur sera juge.
Designs T.1 © Noeve Grafx, 2023
Une thèse en parallèle
La sortie de Designs en France en 2023 permet de faire un parallèle parlant avec un autre manga Bio punk sorti en 2022 : Darwin’s Incident d'Umezawa Shun.
Les deux ouvrages abordent l’hybridation humain/animal par deux aspects opposés. Dans Designs, les êtres hybrides sont des « animaux humanisés », des Humanized Animals, là où l’être hybride de Darwin’s Incident est un Humanzé, un humain-chimpanzé. Lorsque les HA de Designs sont mis au banc de la société, parfois incapables de communiquer faute de cordes vocales. Ils sont alors forcés de s’intégrer à la société humaine, bon gré mal gré.
Dans les deux cas, ces mangas questionnent le devenir de l’humanité, jonglant entre morale et ambition humaine. Dans cette grande remise en question existentielle, Designs nous embarque pour un voyage renversant.