Pigeons !

Au royaume des pigeons, Korbak est roi. Il règne en maître jusqu’au jour où Mouette tente d’ouvrir les yeux de ses sujets : une démocratie est possible ! Mais pourquoi changer quand on aime se faire pigeonner ?

Une flopée de pigeons naïfs, voire franchement benêts, vivent paisiblement à Paris. Ils picorent, volètent, se font écraser par des voitures. Mais surtout, ils obéissent à Korbak. Le corbeau, leader menaçant, se joue des stupides volatiles. « C’est quoi ton truc ? La menace, le chantage ? » « Ça se fait naturellement, répond le corbeau souriant. Je dois me retenir de ne pas être plus cruel… ». Mouette, utopiste libertaire, décide d’aider les pigeons en organisant des élections libres. « Vous avez peur de lui ? » « Ah ben oui ! » « Alors profitez-en. Et votez pour quelqu’un qui ne vous fait pas peur. » « Ah ben non ! Si on n’a pas peur, c’est que c’est sûrement un incapable. » Entre meeting sur les toits, graines empoisonnées et intimidations, le chemin risque d’être long vers la démocratie…

© James x B.Mirroir

Perché sur le faîte du Prince

Marc Chalvin signe ici une fable politicophilosophique hilarante. Façon Machiavel et son Prince, le dessinateur de presse décortique dans des strips de 4 cases le rapport au pouvoir, la manipulation des masses et l’usage de la violence, symbolique comme physique. Il nous immerge dans une autocratie sadique, terriblement cynique, mais pourtant désopilante.

L’idée de l’album lui serait venue pendant le confinement, alors que certains craignaient l’avènement d’un gouvernement sécuritaire liberticide, tout en espérant être protégés par les autorités. Un climat propice aux discours anxiogènes et extrémistes. Avec beaucoup d’humour, Marc Chalvin épluche la rhétorique populiste et son pouvoir de manipulation. « Pour avancer ensemble dans la bonne direction, il faut partager le même état d’esprit. Pour avoir le même état d’esprit, il faut que tout le monde pense la même chose. Et pour que tout le monde pense la même chose… Il faut que le leader pense pour tout le monde. »

Pigeons ! De l'usage de la contrainte et du libre arbitre  © La Cafetière

De là, l’auteur interroge le confort de la passivité politique. « Il paraît que dans certains pays, les pigeons sont totalement libres. Les pauvres… T’imagines ! » Par petites touches subversives, Marc Chalvin change d’échelle, passe subtilement des pigeons aux Hommes, comme lorsqu’il dessine une grappe noire de caméras de surveillance agglutinées sur un poteau. De son trait, il croque aussi bien les toits de Paris que les dialogues des volatiles. Avec un crayon gras et une pointe noire, légère et désinvolte, il met en scène avec énormément de fluidité cette pastille d’humour à consommer sans modération.

Article publié dans le Mag ZOO N°93 Juillet-Août 2023