Bagdad dans les années 2000. Les attentats sont fréquents et meurtriers dans la ville sous contrôle très partiel des Américains. Inspiré, touffu et déroutant.
Même s’il est un bon conteur, personne au café ne prend vraiment au sérieux la nouvelle histoire de Hadi, chiffonnier de son état, d’autant plus qu’il passe pour fou. Il est vrai qu’il a un passe-temps pour le moins singulier : il récupère des bouts de corps déchiquetés par les explosions et il les coud ensemble, créant ainsi un cadavre complet fait de bric et de broc. Avec des morceaux d’Irakiens, bien sûr, mais aussi d’Américains, de Français, de Russes…
Le roman de Ahmed Saadawi adapté ici a fait parler de lui à sa sortie en 2016. Cette histoire aurait pu être un conte oriental, voire un épisode d’Iznogoud qui sévissait dans cette même ville de Bagdad. Cependant, le contexte historique et social est dramatique et, hélas, bien réel. Les auteurs de l’adaptation, Antoine Ozanam et Antonio Cittadini, nous font découvrir le destin de nombreux personnages. Un peu trop, peut-être, on a tendance à se perdre dans les noms ainsi que dans les méandres de la narration, parfois chaotique comme la vie dans la capitale irakienne.
Frankenstein à Bagdad © Delcourt, 2024
Une parabole sur la vacuité de la vengeance
Un homme est tué lors de l’attaque-suicide d’un camion-poubelle, son corps désintégré par l’explosion. Son esprit est condamné à errer, jusqu’à ce que le « fantôme » se décide à habiter la créature rapiécée par Hadi. Une vieille voisine qui prie saint George de lui rendre son fils disparu depuis vingt ans est alors miraculeusement entendue : le monstre s’anime et vient faire office de fils à la vieille, avant de se mettre à assassiner tous ceux qui sont à l’origine de la mort des défunts qui composent son corps.
Le résultat est un récit patchwork, comme Bagdad, entre milices chiites et sunnites, armée irakienne et les gens du peuple. Le rythme se fait volontairement décousu quand on progresse dans la narration. La violence est présente pour mieux être dénoncée : la perpétuelle vengeance n’est qu’une fuite en avant. Et pour la population, la vie continue : certains font des affaires immobilières, d’autres rêvent d’amour. L’être humain s’adapte à tout.
Article publié dans le Mag ZOO N°96 Janvier-Février 2024