l'ascension

À travers le destin romancé de Samuel Zemurray, immigré moldave devenu figure du commerce de la banane, ce récit éclaire une page méconnue de l’histoire économique et politique du XXᵉ siècle, où les États-Unis ont imposé leur influence en Amérique centrale sous l’égide de la United Fruit Company.

Au début du XXᵉ siècle, après l’assassinat de sa famille, Samuel Zemurray, un jeune juif originaire de Moldavie, émigre aux États-Unis à l’âge de quatorze ans. Dans sa poche, il n’a qu’une adresse : celle d’un oncle installé à New York, qu’il espère retrouver pour commencer une nouvelle vie. Mais à son arrivée, il découvre que ce parent est décédé. Livré à lui-même, sans argent ni soutien, il erre dans les rues à la recherche d’un petit emploi. En vain. Affamé, il finit par dérober une banane dans une échoppe. Ce fruit qu’il goûte pour la première fois le séduit immédiatement.

Fasciné, il décide de tenter sa chance en embarquant sur un navire transportant des régimes de bananes depuis l’Amérique centrale. Mais aucun capitaine ne veut de lui. Samuel se glisse alors clandestinement à bord d’un cargo, survivant en volant de quoi manger dans la cambuse. Une nuit, en quête de nourriture, il découvre un autre passager clandestin : un jeune Américain en fuite depuis la mort de sa mère, une gréviste tuée par la police. Tous deux n’ont rien à perdre et deviennent rapidement inséparables. Cachés dans les cales, ils parviennent à se dissimuler jusqu’au jour où l’équipage les découvre. Pour échapper à leur sort, ils n’ont d’autre choix que de se jeter à la mer. Par chance, ils nagent jusqu’aux côtes du Guatemala toutes proches…

Un récit inspiré de faits réels, signé Jack Manini et Kyung Eun Park
© Rue de Sèvres, 2025

Jack Manini, à la fois dessinateur et scénariste, signe ici sa première collaboration avec Kyung Eun Park. Il propose un récit classique de l’émigrant misérable qui, à force d’audace et de persévérance, parvient à bâtir sa fortune. L’originalité tient au secteur dans lequel Samuel s’engage : le commerce de la banane. Inspirée de faits réels, cette fiction s’inscrit dans un contexte historique souvent méconnu. L’auteur éclaire le rôle des États-Unis, devenus un pays grand importateur de ce fruit, dans l’asservissement des pays d’Amérique centrale. La United Fruit Company, véritable puissance néocoloniale, y exerça durant des décennies un pouvoir politique colossal, transformant de petits États en « républiques bananières ».

Le dessin de Kyung Eun Park, marqué par l’influence de la bande dessinée franco-belge, se distingue par un trait semi-réaliste, au contour épais, mais sans cerclage noir. L’auteur coréen, installé en France depuis ses études, colore lui-même ses planches. La mise en scène, efficace, se permet parfois quelques excès, mais reste au service du récit.

Classique et accessible, cette histoire se lit avec aisance. Le lecteur, happé par ce destin romanesque, attend impatiemment la conclusion dans le deuxième tome.