Sylvain Venayre : « Milady, c’est James Bond en femme ! »
Sylvain Venayre, professeur d’histoire à l’université Grenoble-Alpes et scénarist
11 février 2019
-Interview
Joseph Conrad, Maël, Sylvain Venayre
Série : NostromoTome : 1/1Éditeur : Futuropolis
Auteur : MaëlAuteur adapté : Joseph Conrad
Conseiller scientifique : Sylvain Venayre
Collection : Albums
Genres : Historique, Western
Public : À partir de 16 ans
Prix : 24.00€
Scénario
4.0Dessin
5.0Adapter Nostromo, le célèbre et non moins impressionnant roman-monde de Joseph Conrad est en soi un pari ambitieux, tant le texte est complexe et dense. Maël tente néanmoins le pari et il faut bien avouer que l’essai est convainquant.
Après s’être longuement inspiré de sa propre expérience, Joseph Conrad, qui a alors besoin d’argent, entreprend pour la première fois un roman entièrement imaginaire, qui se déroule dans un pays fictif d’Amérique du Sud, le Costaguana, dans la ville de Sulaco.
Nostromo, premier livre © Futuropolis, 2024
Toute l’économie de la région dépend de la mine d'argent de San Tomé dont vient d’hériter Charles Gould, riche anglais expatrié avec son épouse Emily. Pour faire prospérer davantage son bien, Gould et ses partenaires décident de financer une ligne de chemin de fer, qui permettra ainsi de convoyer l’argent dument extrait. Cependant, la mine attise les convoitises et plus particulièrement celle du colonel Monteiro qui souhaite en profiter pour financer son coup d’état.
Les évènements s’affolent et devant la déroute de ses troupes, le président Ribiera se réfugie à Sulaco, tandis que Gould demande l’aide du mystérieux Capataz des Cargadores, plus communément appelé Nostromo, pour aller cacher sa dernière cargaison d’argent.
Nostromo, premier livre © Futuropolis, 2024
Après quelques pages qui installent les ambiances tranquilles du port de Sulaco, nous plongeons très rapidement au cœur de l’action, avec des paysans armés qui poursuivent en leur tirant dessus, les notables les plus riches de la ville. Ensuite, par le biais de flash-back, nous revenons en arrière pour découvrir les causes de cette violence. C’est le moment d’expliquer les enjeux, l’importance de la mine d’argent pour les uns et les autres, le rôle prédominant de Nostromo qui a pour mission de protéger les uns et les autres, réguler les débordements et recruter des troupes pour renforcer les défenses de la ville face à l’arrivée de Monteiro et son armée. Si on peut parfois se perdre entre les uns et les autres, qui est allié, qui est adversaire, l’intrigue centrale reste assez transparente. Le pouvoir passe par l’argent et la vindicte populaire, sous couvert de l’acte révolutionnaire, ne fait jamais dans la nuance quand il s’agit de dégommer les plus privilégiés.
On comprend assez vite que les intérêts d’abord anglais, puis américains vont redessiner l’apparente quiétude de ce petit port insignifiant pour leurs propres intérêts.
Maël rythme extrêmement bien son récit et l’enchaînement des scènes. C’est fluide et particulièrement captivant.
On devine malgré tout, en substance, que ce travail d’adaptation en BD oblige l’auteur à sacrifier la langue propre à Conrad, le style pur ou s’enchaînent les genres dans le roman originel, sur près de 550 pages. C’est l’une des contraintes inhérentes à cet exercice de réécriture, construire le compromis « idéal » entre deux médiums assez proches, mais finalement au langage très différent. Et c’est encore plus évident avec un chef-d’œuvre comme Nostromo qui joue justement avec les degrés d’écriture, les approches littéraires qui changent. Maël a dû faire un choix entre le fond et la forme, entre les niveaux de lecture, pour nourrir une histoire fluide qui fonctionne tout de suite.
Nostromo, premier livre © Futuropolis, 2024
Et personnellement, je trouve que sa proposition, même s’il a opté pour une voie plus classique, est vraiment pertinente et de qualité, d’autant qu’elle offre une porte ouverte vers le roman lui-même.
Ce premier volume, sur deux, nous réserve une lecture très agréable, la promesse d’une pause BD qui donne envie de lire la suite.