Je suis charrette - Vie d'architecte

Tout juste installé sur Paris, Enzo est un jeune architecte fraîchement diplômé. En décrochant un poste de stagiaire chez l’Agence Xavier Nolan, son rêve devient réalité ! Travailler pour un Pritzker (équivalent d’un « prix Nobel » d’architecture) est une chance d’exception. N’importe quel jeune architecte tuerait pour être à sa place…

“Je suis charrette”.

Quiconque ayant côtoyé un architecte un jour dans sa vie a de fortes chances de l’avoir entendu prononcer ces trois mots fatidiques. Illustrateur d’Entre les Lignes, un livre graphique faisant la part belle aux lignes droites et parallèles, l’ancien architecte (italien d’origine) qu’est Danicollatérale signe avec ce deuxième album un roman graphique à forte part autobiographique. Il faut dire que le simple titre ne pourrait être plus explicite.

Les cadres d’entreprise parlent de « surcharge » ou « rush ». Dans le milieu vidéoludique, on dit « crunch ». Les architectes, eux, affectionnent tout particulièrement le terme « charrette ». C’est une autre façon de dire : « Vous ne me verrez pas ce soir parce que je bosse… La fin du projet arrive à grands pas… L'avenir de mon entreprise en dépend… donc la mienne aussi. »

Je suis charrette © Delcourt

Une expérience qu’Enzo va découvrir pendant son stage d’architecture. Le pitch de l’album est aussi simple que suffisant : par l'intermédiaire de ce jeune architecte fraîchement diplômé, Danicollatérale a décidé de décrire avec authenticité le fascinant monde du travail au sein d’une agence. Oh allez ! Même sans avoir trempé dans ce métier, on a tous connu ça : les réunions où on ne comprend pas un traître mot de ce qui s’y raconte, les ordres à exécuter sans la moindre opportunité d’en discuter les aboutissants, les dead line inhumaines à tenir, l’informatique qui plante avant d’avoir eu la présence d’esprit de pianoter ce put*** de CTRL+S sur son put*** de clavier. Mais ça, à la rigueur, c’est le plus rigolo. Le moins rigolo ? La découverte du harcèlement au travail, les « burnout », l’alcoolisme et l’absence de vie en dehors du travail donnant au célibat de (trop) nombreuses raisons de perdurer. Autant l’avouer : aucune « prestigieuse » grande école hors de prix ne vous préviendra de ces petits détails qui feront tout le sel, le poivre et le piment de votre début de vie professionnelle.

Mais au-delà d’être un dur mais triste constat du monde du travail, Je suis charrette est une belle et sincère déclaration d’amour au milieu de l’architecture et à ses architectes. Certaines planches de l’album, réalisées grâce à des logiciels de conceptions du bâtiment, émerveilleront autant leurs principaux utilisateurs que les curieux pour cet univers artistique. D’autres planches construites comme un jeu de choix/conséquence rappelleront à certains ce fascinant mais labyrinthique processus de conduite de projet : une pure idée de génie, si vous voulez mon avis, car consistant en un superbe hommage à ces « livres dont vous êtes le héros » et autres procédés narratifs « jeu-de-rôliste ».
Une BD d’architecte mais dans laquelle beaucoup d’autres corps de métier risquent de se reconnaître…