Peut-on décemment appeler de nos vœux ardents les plaisirs démoniaques impitoyablement impies de Madk ?
De quel esprit torturé est né Madk ? D’où est née cette puissance évocatrice sadique qui nous aura fasciné durant trois tomes à arpenter avec précaution ? Rappelons succinctement que Ryo Suzuri est l’autrice d’Ashidaka et de Centaures. Ainsi, outre un style visuel déjà extrêmement léché et une tendance aux scénarios impitoyables, on sait la créatrice amatrice de sensations humaines fortes. Madk atteint cependant un sommet de radicalité rarement vu (en tout cas parmi ce qui sort en France).
La série narre en effet la chute aux enfers littérale d’un homme aux penchants pervers qui séduit sans le vouloir un archiduc démoniaque grâce à l’intensité de ses vices. Les sévices introductifs du premier tome font ensuite place à un second tome plus politique qui met l’accent sur la dangerosité de la hiérarchie des limbes et la nécessité d’en apprendre les limites pour mieux les subvertir. Ce troisième tome, conclusion du triptyque qui s’est modérément fait attendre durant deux bonnes années, est la preuve qu’un manga n’est pas obligé de finir en eau de boudin. Les personnages y mettent en application les enseignements du tome précédent, non sans vicieux plot-twist.
Madk © Taifu
This is madness, this is...
Madk 3 est une infinie réussite qui prouve la maestria d’une autrice qui a subtilement fait évoluer son récit, transformant le choc transgressif pur des débuts en jeu de pouvoir saisissant, puis en manipulation psychologique transcendante dans un final qui fait honneur aux tourments initiés et affrontés par ses protagonistes désespérés. L’autrice n’a plus besoin de choquer par l’image depuis fort longtemps. C’est par la délicatesse des engrenages toxiques qu’elle ambitionne d’irriter la morale. Le vin est tiré, il faut le boire. Même si la déglutition est impossible, si le goût en est écœurant et si l’idée même de la bouteille vide est abjecte. Le tome n’est bien évidemment pas exempt de souillures, mais ces salissures de l’âme et du corps sont au service d’une conclusion semi-amère rudement bien amenée.
L’autrice creuse ainsi sous la surface de ses infamies et révèle les réelles douleurs intimes derrière autant de décadence. La torture en devient principalement psychique, œuvrant vers un renversement de puissance qui fragilise des colosses qui furent finalement toujours aux pieds d’argile. Madk pose toutefois un réel problème : après une série aussi incroyable, que reste-t-il à raconter ?
Article publié dans le ZOO Manga N°16 Septembre-Octobre 2024