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Ce qui reste du Reste du monde

Les Rendez-vous de la BD d’Amiens consacrent une exposition aux quatre albums de Jean-Christophe Chauzy : Le Reste du monde. L’occasion de lire ou de relire son œuvre avec un regard différent.

En ces temps de pandémie, de guerre aux portes de l’Europe, de peurs ravivées autour du nucléaire, est-il bien raisonnable de proposer une exposition sur Le Reste du monde ? « Oui » répond sans hésiter Raphaël Louviau, l’un des organisateurs, « parce qu’il s’agit d’une œuvre d’une réelle densité ».

L’histoire de cette mère de famille confrontée à une série de catastrophes dans les Pyrénées, qui doit survivre avec ses enfants est d’abord le reflet des angoisses d’une époque, celle d’une vie banale qui bascule, celle aussi d’une société plus fragile qu’on ne l’imagine. « Il ne s’agit pourtant pas d’une mise en garde » souligne Raphaël Louviau, bien que l’œuvre aborde les sujets du climat, des migrations, du nucléaire, de la nature folle qui se réveille. « Plutôt d’une analyse très fine des névroses de notre siècle, à hauteur de personnage » et donc finalement à hauteur de chaque lecteur : Marie, l’héroïne pourrait être n’importe qui. Elle vit la fin d’un monde, de son monde. Avec sa famille, elle fait partie de ceux qui restent, sans que l’on sache d’ailleurs ce qui reste exactement.

Le reste du Monde T.4 - Les enfers

Le reste du Monde T.4 - Les enfers
© Casterman, 2022

L’exposition permettra de découvrir le travail de Jean-Christophe Chauzy à travers une quarantaine de planches exposées. « Nous ne voulons pas raconter l’histoire, commente Raphaël Louviau. Nous cherchons plutôt à interroger les gens, à montrer des choses sans les dire et surtout à donner envie de découvrir les albums. »

Les visiteurs en prendront plein les yeux, car les impressionnants dessins en aquarelle de l’auteur, réalisés sur de très grands formats, portent une attention méticuleuse aux détails. Chaque planche est une œuvre d’art qui saisit, fascine, retourne. « C’est presque une expo impressionniste où l’on découvre les subtilités au fur et à mesure, les idées en pointillé. » Centrée autour de deux salles, l’exposition évoquera ainsi le rapport à la nature, son gigantisme et sa colère (voir ci-contre) ainsi que la place de l’homme. Face à ces dessins, on prend alors conscience que ce qui restera vraiment, c’est le réel, la nature, et qu’en fait, les humains, illusionnés par leur technologie, demeurent minuscules.

En ces temps de catastrophes, de pandémie, de réfugiés en Europe, Le reste du monde résonner particulièrement.

Jean-Christophe Chauzy : Je ne suis pas adepte de lectures exclusivement distractives. J’aime quand les livres et les films secouent un peu… Le sujet traite d’une catastrophe chez nous. Quand on tire sur le fil, tout vient et tout s’enchaîne. Le dernier tome évoque certes une pandémie, mais il n’y avait rien de prémonitoire. Une catastrophe entraîne souvent cette situation. De même, je n’avais évidemment pas prévu la guerre en Ukraine. Généralement, les dévastations arrivent ailleurs, très loin. Si elles frappaient la France, nous nous retrouverions, à notre tour, sans rien, sans accès à l’électricité, à l’information, au soin ou à l’eau… J’ai voulu montrer comment les dominos tomberaient les uns après les autres. Apparaîtraient alors le dénuement, la migration forcée, l’inversion des rapports de force, le déferlement de la violence, les maladies…

Le thème de la famille et de la communauté est récurrent dans cette oeuvre.

J.-C. C. : Ce postulat a été débattu avec Pablo Servigne, le scientifique qui a développé en France la collapsologie. Il pense que face à la catastrophe qui arrive, le salut viendra de la solidarité. C’est une réflexion intéressante que je montre d’une certaine manière au début de la catastrophe. Quand tout s’effondre, on a besoin de jouer collectif pour trouver à manger, à boire, pour se réchauffer, s’abriter, se renseigner… Cependant j’y vois une limite : le collectif marche tant qu’on a à partager… Après, les cellules se réduisent autour de la famille, du couple ou de petits groupes.

Le reste du monde T.4 - Les enfers

Le reste du monde T.4 - Les enfers
© Casterman, 2022

Croyez-vous en un effondrement ?

J.-C. C. : L’effondrement n’est plus une question de croyance. Il est en cours ! La biodiversité est en chute libre. La bio masse sauvage n’existe presque plus. En fait, nous
vivons cette catastrophe comme si un immeuble nous tombait dessus au ralenti. Je ne verrai certes pas les effroyables difficultés que vivront nos petits enfants pour se nourrir, pour boire… Il n’empêche que l’effondrement a bel et bien commencé.

Malgré cette vision pessimiste vous avez choisi des couleurs aquarelle très douces pour ces BD ?

J.-C. C. : J’ai voulu une gestion de couleurs qui ne soit pas totalement réaliste. Il y a des scènes orange, jaunes, bordeaux, un coloris que l’on ne voit pas tous les jours. Elles sont travaillées dans une aquarelle qui adoucit, qui rend les choses veloutées, moelleuses. Ce choix reflète mon humeur très mélancolique lors de la réalisation des albums. La nature que j’ai connue gamin, mes descendants ne la verront pas. Ils connaîtront une nature avec moins d’oiseaux, moins d’animaux, moins d’insectes, moins de vie. Cette perte me cause un chagrin sans fin… Dans le premier album, je voulais ainsi que le paysage devienne le personnage principal de l’histoire. C’est du paysage que viennent les dévastations, les secousses, les éboulements. Le paysage est dur, cruel, mais il est aussi magnifique. En fait, c’est un bouquin sur le sublime. En histoire de l’art, le sublime renvoie à ces lieux absolument somptueux et magnifiques, d’une beauté telle qu’elle vous écrase. Le paysage est montré à la fois dans toute sa grandiose beauté, mais aussi avec sa force destructrice. Sans doute ai-je été influencé par ces catastrophes filmées à la télévision qui deviennent un spectacle terrifiant, mais aussi fascinant.

Le reste du monde T.2 - Le monde d'après

Le reste du monde T.2 - Le monde d'après
© Casterman, 2022

Comment travaillez-vous ? Aviez-vous prévu ces 4 tomes en avance ou construisiez-vous le récit au fil de l'eau ?

J.-C. C. : Initialement, j’avais prévu un seul livre. J’aimais l’idée que l’on ne sache pas bien ce qui se passait ailleurs. Contrairement aux films catastrophe classiques, les secours ne venaient pas. Cependant avec les perspectives que ce sujet ouvrait, le récit s’est construit par des enchaînements de situations. Je poussais les dominos et je voyais où cela menait. Aujourd’hui, j’ai envie de revenir sur le sujet. J’écrirai sans doute une suite prochainement. J’ai déjà l’idée de la fin. Il y a une issue qui, à défaut d’être positive, permettrait l’expression de valeurs positives. En revanche, j’ai encore à choisir les péripéties pour nous y conduire.

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