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S"inquiéter, c'est souffrir deux fois

Hirayasumi a définitivement pris la France par les sentiments et pas simplement par sa capacité à s’amouracher du décrépi.

Selon les critères d’une société caracolante, Hiroto n’a pas une vie terriblement enviable. Pas de compagne en vue, pas d’enfant, pas d’argent, un travail à mi-temps à priori ennuyeux, un quotidien placide sans heurts, sans une once d’intensité, sans rebondissements : on le voit facilement comme un adulescent perdu sans avenir. Il profite pourtant de sa vie de bout en bout, lui infusant une saveur qui lui est propre.

C’est en inculquant son mode d’existence particulier à sa cousine, colocataire imprévue venue faire les beaux-arts de Tokyo qu’il déploie la force d’une vision du monde déconnectée de ses contraintes principales. Sa gentillesse fondamentale lui a valu l’obtention d’une petite bicoque, théâtre de leur cohabitation au milieu de nombreux souvenirs encore vivaces et d’abondantes possibilités oubliées.

S"inquiéter, c'est souffrir deux fois

© HIRAYASUMI © Keigo SHINZO / SHOGAKUKAN

Sage ou Benêt ?

Hirayasumi est une série chaleureuse qui ne cache pas son envie d’optimisme à travers la multiplication de petits élans de cœurs qui recommencent à battre à la cadence qui leur convient le mieux. Elle remet en cause, en relief et en creux, le rythme d’une société qui se sent obligée d’accélérer. Discrètement, de moments de respirations narratifs en élargis­sements de champ visuel, elle replace le petit dans le grand, la fourmi pas forcément industrieuse dans la fourmilière pourtant si belle à regarder avec un peu de recul. Cette fois-ci, la fourmi travaille a être une spectatrice apaisée de la marche du monde.

S"inquiéter, c'est souffrir deux fois

© HIRAYASUMI © Keigo SHINZO / SHOGAKUKAN

Petite balade dans la vi[ll]e

Hirayasumi, comme la première goulée d’air frais d’hiver après un été psychique intolérable, diffuse de doux déboires qui résonnent d’une nostalgie du monde qui n’a pas encore eu le temps d’atteindre le passé. Hiroto est perçu comme déraison­nablement désinvolte et détaché, mais aussi comme encore un peu enfantin, ayant conservé une spontanéité altruiste vestigiale et une curieuse capacité à s’émerveiller d’un rien.

La série est en son cœur l’histoire de deux personnes qui n’excellent pas, mais qui, en se focalisant sur leurs capacités d’action immédiates, vont effectuer un renversement positiviste de leur supposée vie de loser. Aimer Hirayasumi, c’est implicitement accepter son envie de renouer. Renouer avec une vision perdue du monde, renouer avec des sensations manquantes, renouer avec la saveur acidulée et les reflets pastels qui ont un jour teinté notre réalité. Bien loin d’une insouciance décérébrée, Hirayasumi apaise l’âme comme un baume sur une insupportable irritation.

Article publié dans ZOO Manga N°11 Janvier-Février 2023

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