L'été, la plage, l'adolescence... Mais entre accidents de voiture, jeunes filles troublantes et disparitions mystérieuses, l'été 1967 d'Antoine ne ressemblera pas aux autres ! L'été Diabolik est un récit aussi noir qu'estival porté par un graphisme explosif parfait pour célébrer le retour des beaux jours. Son dessinateur, Alexandre Clérisse, nous raconte la réalisation de son vrai faux roman en BD...
L’adolescence au cœur des années 60
L’ été Diabolik a été réalisé en duo avec votre propre professeur, Thierry Smolderen…
Alexandre Clérisse: Thierry était en effet mon professeur de scénario aux Beaux-Arts d’Angoulême, même si ce n’est pas un professeur comme les autres ! Sur son site, Coconino World, il met en parallèle les auteurs à l’origine de la bande dessinée avec des auteurs contemporains. J’ai fait mon premier album grâce à un exercice de bande dessinée en improvisation pour ce site, du coup on a toujours gardé contact. Il y a cinq ans, on a fait un premier album ensemble, Souvenirs de l’Empire de l’Atome puis on a commencé L'été Diabolik dans la foulée !
Ces deux albums prennent, tous deux, place dans un XXe siècle rétro !
L’idée était de parler d’une époque complète, pas sous un angle nostalgique ou documentaire, en se basant uniquement sur des photos mais en utilisant les codes graphiques de l’époque. Avec Souvenirs de l’Empire de l’Atome, on s’est inspiré des illustrateurs des années 50, cette fois-ci on s’est plongé dans les années 60 par le biais du cinéma, des ouvrages populaires, de la mode, la publicité...
Thierry était adolescent pendant les années 60, donc il y a pas de mal de choses personnelles dans l’histoire : les rencontres féminines, les copains et le père, une personne assez mystérieuse, Diabolik un personnage de BD qu’il lisait quand il était adolescent... L’intrigue part de l’image que Thierry s’était faite d’un personnage dans une DS qui voit le masque de Diabolik dans le reflet de son rétroviseur.
L' été Diabolik aborde des thèmes sombres, conflits idéologiques, identités secrètes, étaient-ce des sujets que vous aviez déjà envie de traiter ?
Je suis curieux de tout, je n’ai pas de barrière de style, de genre... J’étais content d’apprendre de nouvelles choses, d’étudier comment les cinéastes utilisaient la lumière, les noirs et les blancs. Faire un récit d’espionnage de manière stricte ne m'intéresse pas : ça m’a fait marrer d’intégrer le côté Jacques Tati dans un récit type espionnage. J’adore aussi le côté truculent qui ressort du film OSS 117 ou Au service de la France, une série très burlesque qui se passe dans un service d’espionnage français.
L’ ouvrage parle de l’assassinat de Kennedy mais au final le complot n’est pas au cœur du livre…
Je pense que c’est un leurre du scénario ! L’assassinat, les accidents, les personnages masqués sont des éléments qui brouillent sans arrêt les pistes ! Je pense que le fond de l’histoire c’est la relation d'Antoine avec son père et surtout l'image qu'il se fait de lui à 15 ans. Est-ce qu’on connaît vraiment nos proches ?
Chaque personnage a une personnalité très marquée, pourriez-vous nous en dire plus sur eux ?
Je pense que c’est vraiment issu de l’adolescence de Thierry. Antoine lui ressemble le plus, Eric fait penser à un de ses amis quand il était ado, Michèle c’était la fille dont il était amoureux sur les bancs de l’école et qu’il n’a jamais recroisée ! D’ailleurs il m’a donné des photos pour que je m’en inspire.
Ce sont les souvenirs de Thierry, il a donc fallu que je les réinvente. Pour prendre de la distance, je me suis notamment inspiré de personnages célèbres, Eric a par exemple beaucoup d’attitudes à la Belmondo, Joan des gestes issus de la série Mad Men...
De la couleur locale à la moulinette graphique
Le début de l’ouvrage commence comme un roman, avec un titre et une page de garde typique…
Thierry s’est inspiré de romans policiers dont ceux de John le Carré, un des maîtres du roman policer anglais, ou encore des éditions de Minuit... Le livre s’ouvre sur un début de faux roman pour permettre au lecteur de rentrer différemment dans la bande dessinée. On retrouve encore le côté romanesque avec la voix du narrateur qui nous permet de comprendre ce qu’il se passe dans la tête du personnage, ce qu’on ne retrouve pas souvent en bande dessinée.
Comment amener une bande dessinée aussi « vintage » à un public contemporain ?
On ne voulait pas faire de post-moderne avec un faux album d’une époque. Même s’il y a des touches de nostalgie, on voulait d’emblée quelque chose de très « 2016 ». Et de nos jours, il y a aussi un retour aux années 60 dans la déco, ça redevient actuel !
Cette bande dessinée est un roman graphique, ce qui ne se faisait pas du tout à l’époque. Pour les dessins, je n’utilise pas les techniques des années 60 comme la peinture et la plume mais je travaille par ordinateur. En mélangeant les références, par exemple en colorisant Diabolik avec les couleurs pop de David Hokney [figure emblématique du mouvement du Pop Art N.D.L.R.], on lui donne une nouvelle jeunesse !
Pour une scène, j’ai aussi cherché les vraies images de l’assassinat de Kennedy que j’ai stylisé à la Guy Peellaert. Dans L'été Diabolik, le père d’Antoine utilise un peu le même procédé d’inspiration puisqu’il s’inspire des produits culturels de son époque, avec les magazines de mode, pour composer son attitude.
Surprenant de mettre en scène un récit noir avec une telle ambiance estivale…
On était parti pour dessiner la côte basque mais finalement le lieu n’a pas été nommé et on lui a donné pleins d’ambiances différentes, la Côte d’Azur, Biarritz, la Normandie... C’est un peu la côte française idéale : il fallait que tout le monde puisse y retrouver une atmosphère de vacances. Tout le livre on est baladé dans cette ambiance évanescente, adolescente... la chute n’en est que plus sombre !
Vous accordez une grande importance à la couleur, il semble que vos gammes fétiches aient évolué avec cet album…
Au début de mes livres, je créé une gamme de couleurs, je m'inspire par exemple de celles que je découvre dans les magazines de mode de l'époque. Je travaille sur Illustrator et je m’entoure des images qui me permettent de me faire des pastilles colorées. Elles sont très précises, l’orange par exemple est un orange typique de l’époque : un orange avec un peu de rose.
Il y a aussi des associations de couleurs très caractéristiques, un rose à côté d’un orange, quelque chose qu’on peut retrouver en Inde et qu’on a beaucoup utilisé dans les années 60. Dans cet ouvrage, le bleu domine : j’y ai pensé tout de suite parce que le bleu Klein est une teinte inventée dans les années 60. On repartira sur d’autres gammes dans le prochain livre...
Tout cela a fait exploser ma gamme de couleurs habituelles, avant je n’aurai pas utilisé le rose ou le violet ! C’est une couleur que je déteste et pourtant je me suis retrouvé à l’aimer parce que j’ai réussi à le combiner avec d’autres couleurs.
D’ autres projets en duo pour la suite ?
Pour notre prochain projet, on va traiter des jeux vidéo, des jeux de rôle, de l’heroic fantasy... C’est à priori très éloigné de tout ce qu’on a déjà fait ! Encore une fois, on n’utilisera pas cet univers de façon brute mais pour le mettre dans un autre contexte, en mixant les jeux vidéo avec la mode déjantée des années 80, ou transposer le côté sauvé par le gong en version heroic fantasy !
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