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Bernard Werber : «La BD est mon mode d’expression de base»


La bande dessinée est l’ADN de Bernard Werber. Pog a adapté le scénario avec talent et Naïs Quin montre toute la dimension cinématographique de son dessin expressif et sa maîtrise du mouvement. Demain les chats est une des sensations de ce printemps 2021. 

Bernard Werber, comment est né votre livre Demain les chats ?

Bernard Werber: C’était juste après l’attentat de Charlie Hebdo. Des connaissances étaient dedans, en particulier Cabu avec qui j’étais très ami. On a déjeuné ensemble environ quinze jours avant qu’il perde la vie. Il me disait qu’il se sentait en danger et qu’il avait l’impression qu’il pouvait lui arriver quelque chose de grave. C’est arrivé, et c’était tellement un choc qu’on ne pouvait en parler que psychologiquement. Pour moi, la meilleure façon de sortir de l’émotion pour aborder ce sujet, c’est d’avoir le regard d’une autre espèce vivante que l’être humain car elle n’a pas les mêmes codes. Du coup, c’est juste une espèce qui en observe une autre s’entretuer, mais sans plus se poser de question. L’objectif était d’avoir la vision d’une autre espèce sur quelque chose par rapport à laquelle on est en totale panique : la montée du terrorisme. Je voulais faire une histoire de chat pour adultes, avec une part de sexe et de violence. On est très loin des Aristochats et de Disney comme le craignait au départ mon éditeur, Albin Michel, que j’ai convaincu car il y a un rapport de confiance. 


De quels chats vous êtes-vous inspiré ?

BW: De ma chatte, Domino. Elle est égoïste, a une très haute vision d’elle-même. Dans tout ce qu’elle fait, elle considère que les autres sont là pour la servir, en particulier moi. Elle ne supporte pas que je fasse des interviews : elle a mangé plusieurs fois les fils des micros et des caméras. Elle me considère vraiment comme son serviteur. Elle est lâche, exigeante et mégalo : un vrai personnage de roman!

Mais votre héroïne, Bastet, est plus sympa que Domino…

BW: Oui, car elle a ce projet d’entrer en communication avec d’autres espèces. Mais elle a quand même ses accès de  moi d’abord» par moments! 

Pourquoi avoir voulu que ce roman soit adapté ?

BW: Je viens de la BD, c’est mon mode d’expression de base. Plus jeune, j’ai créé un fanzine, j’ai été scénariste et j’ai déjà publié plusieurs bandes dessinées. Ma passion, c’est la BD. Les fourmis, c’était d’ailleurs d’abord une BD. J’ai une idole: Moebius. J’ai eu la chance de le rencontrer et nous avons mené ensemble un projet de livre illustré : L’arbre des possibles. Métal Hurlant, revue d’anticipation et de science-fiction des années 1970, c’est mon choix artistique dans tous les domaines. Je voulais voir Demain les chats en BD. J’ai renoncé au cinéma qui est un temps long et je ne suis pas patient. Mais Naïs a des cadrages cinéma auxquels je suis très sensible… 

Le roman Demain les Chats est sorti en 2016

Le roman Demain les Chats est sorti en 2016 © Albin Michel

Naïs, vous confirmez l’influence du neuvième art dans votre travail de dessinatrice ?

Naïs QuinOui, c’est vrai que je pense beaucoup cinéma quand je fais des story-boards. Je suis d’ailleurs plus passionnée de ciné que de BD. Dans la bande dessinée, ce qui m’intéresse, c’est de pouvoir regrouper plusieurs techniques cinématographiques. Je connaissais Pog car on a déjà monté des projets ensemble, mais ils n’ont pas vu le jour. Il est revenu me voir pour Demain les chats et j’ai tout de suite trouvé cool le côté «vu par les chats». Ils se représentent les humains comme d’autres êtres et c’est intéressant, narrativement parlant. En plus, c’est un univers post-apocalyptique et j’aime ces ambiances, comme dans Akira ou Mad Max. 

Avez-vous participé au scénario ?

NQ: Un peu dans la narration et le story-board.

Et vous, Bernard Werber ?

BW: J’ai voulu intervenir le moins possible. Je leur ai fait confiance et Naïs s’est appropriée mon livre. 

Qu’est-ce que vous appréciez dans son dessin ?

BW: Le mouvement. Elle a ce talent, propose des contre-plongées, des sauts : Naïs place la caméra pour bien montrer le moment du mouvement. C’est exactement ce que j’attends d’un adaptateur. Mon principal souci, c’est que le lecteur tourne les pages et ne s’ennuie pas. J’ai découvert Salammbô avec Druillet. C’est ce qui m’a donné envie de découvrir le texte original de Flaubert, que j’avais trouvé lourd à la première lecture. C’est pour cela que j’ai eu envie qu’on adapte mes romans en BD: proposer du visuel au lecteur qui n’ira pas vers le roman pour lui donner envie de découvrir l’œuvre.

Quelles ont été vos influences en BD ?

BW: Pif gadget, Pilote, L’Écho des Savanes, Métal Hurlant et Fluide Glacial. Plus récemment, j’ai été surpris par 3’’ et l’ensemble du travail de Marc-Antoine Mathieu, les Frères Schuiten dont je suis fan absolu car ils ont vraiment inventé quelque chose de très original, mais aussi Franck Miller et Sin City. Pour moi, la BD est un art vraiment à part, un art majeur. On a la chance d’avoir une vraie culture BD en France et en Belgique.

Naïs, quelles difficultés avez-vous rencontrées pour dessiner Demain les chats

NQ: Je n’avais jamais dessiné de chats, j’espère que ça ne se voit pas trop (sourire). Mais on a quand même moins de pression quand on ne s’occupe pas du scénario. Je n’avais pas souvent travaillé d’après un scénario existant. Mes scénarios sont plus intimistes et je ne savais pas si j’allais être douée sur un story-board d’action. En fait, ça m’a beaucoup plu!


Les chats doivent se préparer à prendre la relève de la civilisation humaine...


D’autres projets d’adaptation en BD de vos romans ?

BW: On attend de voir comment le public va recevoir ce titre, mais pourquoi pas. On va profiter de ces outils illimités que sont la BD et le roman! 

Dans les années 1990, vous avez été journaliste scientifique à L’Écho des Savanes et au Nouvel Obs. Pourquoi avez-vous arrêté ?

BW: Car la porte de la science-fiction et du fantastique est assez fermée en France, en particulier dès qu’on parle de cinéma. Je me suis par exemple entendu dire en réunion plénière de rédaction que personne ne connaissait Tolkien et Le Seigneur des anneaux, ni l’auteur de Dune, Franck Herbert dont on m’a refusé d’écrire la nécrologie… Il faut savoir qu’il y a, en particulier chez certains intellos de gauche, une satisfaction à mépriser certaines cultures comme la BD, le fantastique, la SF… 

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