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Rencontre avec Franck Dumanche et Nicolas Otéro

Plongez avec les auteurs, Franck Dumanche et Nicolas Otéro, dans l'univers de  Réseau Papillon, la série BD qui explore avec sensibilité la vie des jeunes résistants pendant la Seconde Guerre mondiale. Franck et Nicolas nous révèlent les coulisses de la création, l'évolution des personnages, et la manière dont la série aborde des thèmes graves tout en restant accessible à la fois aux jeunes lecteurs et aux adultes.

Il y a quelques temps de ça est sorti le septième volume du Réseau Papillon, chez Jungle. J’ai le sentiment que progressivement, le ton est devenu, disons plus adulte.

Nicolas Otéro : À partir du tome 3, à peu près, on sent que la guerre se durcit, que les gamins rentrent dans une réalité un peu plus brutale, j’avais fait le choix, au niveau du dessin, de les faire grandir en même temps. Et effectivement, comme le récit se tend d'avantage, le graphisme évolue vers quelque chose de plus… « grand public », je dirais, plus adulte, qui s’éloigne peut-être des codes de la BD jeunesse. Ça a été un souhait de ma part, mais en parallèle, c’est vrai que l’écriture du scénario suit aussi la réalité du conflit. Plus on avance dans le temps, plus il se passe des évènements pénibles, comme le fait que ce tome évoque les rafles, le début des déportations, c’est vrai que c’est un peu « plombant » sur le traitement des thématiques.

Le Réseau Papillon - Tome 7 Les rails de la honte

Le Réseau Papillon - Tome 7 Les rails de la honte © Éditions Jungle, 2023

En plus, le fait que ça implique Edmond plus personnellement, on passe à autre chose.

Franck Dumanche : Et c’est aussi la volonté de faire évoluer les personnages. On ne pouvait pas les laisser dans le même état d’esprit qu’en 40 où ils sont à peine en résistance, où c’est encore un peu tout rose. La guerre s’accentue, la résistance s’organise, les gens sont de plus en plus affamés, de plus en plus énervés contre l’Allemagne. Donc à un moment, les personnages évoluent, ils grandissent, avec cette volonté d’implication, cette envie de basculer de « simple acteur », parce qu’ils agissaient déjà à leur petit niveau, à « acteur moteur » de la grande Histoire.

Je rebondis sur ce que tu disais tout à l’heure, Nicolas, sur le graphisme. Je trouve que dans le dernier album, il y a plein de séquences ou le dessin est nettement plus réaliste aussi, on entre dans un aspect bien plus historique. Il y a vraiment deux graphismes différents à ce moment-là. C’est quelque chose que tu as vraiment voulu faire comme ça ?

N. O. : Oui, c’était un choix délibéré. Après, c’est aussi par rapport aux autres projets sur lesquels je travaille, il y a différents styles qui évoluent, alors parfois ça s’entremêle quand je reprends le Réseau Papillon. Mais par rapport à ce qu’on disait, c’était adapté que certaines figures soient traitées de façon plus réalistes, les scènes de rafles, les choses comme ça… Il y a un petit patchwork des deux dans ce tome-là, effectivement. On continuera ainsi sur la suite, pour trouver un équilibre graphique.

Ça appuie vraiment sur l’aspect bien historique du récit, en plus.

F. D. : Oui, mais ça n’est pas quelque chose qu’on aurait pu mettre en place au début. Ça aurait trop perturbé les lecteurs, ils n’auraient pas adhéré. C’est une continuité modérée et normale de les voir grandir, même physiquement. C’est fait au coup par coup, il n’y a pas de cassure nette, c’est fluide, distillé au fur et à mesure des albums. C’est ce qui permet aussi de garder les lecteurs dans la série.

Quand on regarde bien les sept albums, les uns après les autres, on sent vraiment qu’il y a en effet une vraie évolution.

N. O. :  Ça c’est un truc que j’ai vu sur le terrain, sur les festivals, en dédicaçant. C’est vrai que j’ai un public de gamins aussi, assez friand de la série, qui commence à bien connaître les personnages et qui s’attend donc à des aventures dans un certain type d’univers. Mais j’ai aussi pas mal de lecteurs adultes qui, au début, me disaient que ça se lisait hyper vite, c’est vrai que c’est jeunesse. Je me suis alors dit que par rapport à notre lectorat qui grandit en parallèle, on peut se permettre de doucement amener un graphisme un peu plus « historique », plus ouvert en tout cas, qui pourrait satisfaire le plus grand nombre. Les jeunes lecteurs ne sont absolument pas déçus, ils ne remarquent pas ce changement de style qui se fait par petites touches, successivement au fil des albums, mais je pense que les adultes, du coup, s’y retrouvent davantage.

Par rapport à ce lectorat « jeunesse », comment ça se passe pour parler de sujets aussi graves que les déportations, les rafles ? Ça doit être compliqué, non ?

F. D. : Compliqué, non. Il y a des codes qu’on essaye de respecter, étant donné qu’on est, c’est vrai, dans une série jeunesse, on évite toutes les grosses scènes de torture, de violence, de mort. C’est suggéré, car on ne peut pas non plus l’ignorer sur la seconde guerre mondiale. Nicolas réussit très bien à faire comprendre tout ça, sans pour autant le montrer. Il y a cette volonté de ne pas cacher les choses, mais d’en montrer suffisamment pour que ça soit compréhensible sans forcément que ça choque le lecteur. Même si on évolue un peu à ce niveau-là, parce que de toute façon le lecteur grandit, mais l’état d’esprit de la jeunesse évolue aussi par rapport à ce que nous connaissions au même âge. Ils sont beaucoup plus confrontés à la violence télévisuelle, dans les jeux vidéo que nous à notre époque. Il faut en tenir compte. Ils sont moins choqués de voir quelqu’un se faire tirer dessus, par exemple.

D’autant qu’aller leur parler de déportation de juifs, de trains etc. Ça ne nécessite pas forcément de rentrer dans des « trucs » plus trash, après tout. La guerre est un sujet grave et la réalité veut qu’on ne puisse pas non plus l’éviter.

N. O. :  De mon côté, j’ai aussi pas mal de retours sur le fait qu’il y a des enseignants qui utilisent le Réseau Papillon comme support à leurs cours. Les gamins ont accès à ce sujet en cours d’Histoire et c’est vrai qu’en parallèle, nous quand on raconte nos histoires, on n’a pas besoin d’étaler des scènes choquantes, plus «hard». C’est aussi le travail de mise en scène de garder en tête qu’on a des lecteurs qui ont peut-être 11/12 ans, voire même un peu moins. Il y a des choses qu’on n’a pas envie de leur montrer, il y a moyen de le faire autrement, par le biais de l’Histoire, de la mise en scène. Je vois le Réseau Papillon presque comme une sorte d’appui pédagogique. Elle sert aussi à ça la série. En termes de seconde guerre mondiale, la BD adulte propose une multitude de sujets avec des scènes intenses, avec de la violence etc. Mais ça n’est pas notre objectif, il faut trouver un équilibre. L’écriture de Franck amène ce recul vis-à-vis du cadre, de certaines scènes qui peuvent être plus difficiles.

Le Réseau Papillon - Tome 7 Les rails de la honte

Le Réseau Papillon - Tome 7 Les rails de la honte © Éditions Jungle, 2023

Il y a aussi les dossiers finaux qui contextualisent tout ça. Ils permettent de contre balancer le fait que visuellement il y a des scènes que l’on ne va pas montrer, mais qui seront expliquées à la fin.
D’ailleurs, j’ai vu qu’il était mentionné Michel-Yves Schmitt comme co-scénariste, quel a été son apport dans cet album, à quel moment il est intervenu ?

F. D. : À partir du tome 7, on commençait un peu à tourner en rond au niveau des séquences, de l’intrigue, par forcément au niveau des thèmes, car on a la continuité de tout ce qui va se passer jusqu’à la fin de la série. Mais voilà, j’avais un petit blocage au niveau de l’aventure, des redites, des personnages… Michel-Yves est venu me donner un coup de main à ce niveau-là. C’est toujours moi qui décide ce que vont faire nos jeunes aventuriers, mais il a apporté un peu de fluidité, un regard nouveau sur la série.

N. O. :  Par expérience, ayant travaillé sur ma première série américaine, sur le Ku Klux Klan qui était longue, en 9 tomes, je constate que forcément, sur ce genre de série au long court, il peut y avoir, au bout d’un moment, une espèce de ventre mou où l’on s’interroge sur ce qu’on raconte, sur ce qu’on a développé. C’est vrai qu’on arrivait dans cette phase, on s’est fait une petite réunion collective et Franck a rencontré Michel-Yves. C’était le bon moment pour amener un regard neuf sur la structure, sur la façon de gérer les différents climax de l’album où l’on pouvait entrer dans une sorte de ronron. Si c’est pour répéter les mêmes bouquins à chaque fois, on se lasse, on perd en qualité. Et là, effectivement, ça a remis un petit coup de boost, autant à la créativité de Franck que pour moi, ça a été un chouette apport.

Je me suis demandé, d’ailleurs, si le fait d’avoir, par exemple, décentré Edmond sur Bordeaux ça n’avait pas été une façon de sortir du petit groupe à la « Club des cinq » dans leur coin et de faire en sorte qu’il y ai des dialogues à distance, d’autres situations…
Comment gérez-vous leur différente évolution, à chacun de ces jeunes personnages, il va y avoir des choses qui vont se passer dans leurs relations les uns vis-à-vis des autres, par exemple ?

F. D. : Étant donné qu’on reste avant dans une série jeunesse, on va rester dans des thèmes de fraternité, d’opposition, de conflits, de « prise de pouvoir ». Après, on essaye de centrer chaque tome sur un personnage du réseau. Sur le tome 7, on a plutôt Edmond et François, avant c’était plus François, avant c’était Elise etc. On essaye à chaque fois d’avoir une histoire, car c’est avant tout de la fiction, mais c’est surtout leur histoire à eux, ce qui fait qu’on est amené au fur et à mesure à en mettre plus un en avant, puis un autre, ça permet de les faire grandir.

D’où le fait aussi de bien marquer qu’il y a eu deux ans qui se sont passés entre le premier et le dernier tome, par exemple, on sent qu’il y a aussi une évolution dans le temps.

F. D. : Oui, dans le temps, mais surtout entre eux, par rapport à la guerre, en fait. Les caractères sont de plus en plus affirmés, évidemment, on a moins Bouboule qui passe son temps à faire des gaffes et à manger, il a plus un rôle d’action progressivement, on a moins Gaston irréfléchi qui se lance tout de suite dans l’action, mais qui pense aussi à protéger les autres, de même qu’Elise est moins dans une volonté d’être considérée comme les autres, mais qui accepte d’avoir sa place. Il y a cette évolution-là dans les personnages, effectivement, mais elle se fait naturellement dans l’écriture.

Et, encore une fois, je trouve que par rapport à ça, il y a un énorme pas en avant dans ce septième volume. On sent qu’à un moment donné, les personnages ne sont plus seulement là pour aller crever des pneus de bagnoles, mais qu’ils passent à une étape supérieure, aller saboter des voies ferrées, se former, ce genre de chose.

F. D. : C’est l’évolution naturelle dans leur perception de leur implication. Ils grandissent, donc les adultes les considèrent plus comme des grands aussi. Au départ, quand ils commencent à 12 ans, on ne peut pas leur mettre une arme dans les mains, leur donner de la dynamite et leur dire « Bon, allez-y, faîtes tout sauter ». C’était logique. Au départ il avait ce rôle, on fait des petites actions, avec nos maigres moyens, vis-à-vis des adultes. Maintenant, ils sont plus impliqués, ils comprennent qu’ils sont considérés comme des grands, comme des individus qui peuvent agir dans la résistance, donc on s’en sert, on utilise ça.

N. O. :  C’est toute une cohérence globale, la maturité se fait naturellement. On parlait tout à l’heure du graphisme, de l’histoire qui se tend en même temps que les évènements. Eux grandissent en prenant de l’expérience. À l’époque, un gamin entre 12 et 14 ans, il y avait une grande transformation de maturité. D’ailleurs, ça se voit doucement, je ne sais pas si tu l’avais remarqué, mais au début ils sont tous en culotte courte, maintenant, passé un certain âge, c’est fini les petits shorts, on met un pantalon, on est considéré d'avantage comme un adulte. Ça rejoint cette cohérence d’ensemble qu’on a essayé de mettre en place sur la totalité de la série, une évolution qui se veut assez réaliste aussi.

En plus, là on commence à vraiment faire appel à eux, on vient les voir pour qu’ils filent un coup de main.

N. O. : Le fait que les réseaux soient tombés, on a évoqué le réseau Hector précédemment, eux restent assez stables et par leur maturité ils peuvent devenir un point d’accroche assez sérieux et leur implication s’en trouve décuplée par rapport à ça.

Le Réseau Papillon - Tome 7 Les rails de la honte

Le Réseau Papillon - Tome 7 Les rails de la honte © Éditions Jungle, 2023

Vous avez déjà visualisé l’ensemble de la série ?

F. D. : Avec la maison d’édition, Jungle, on a prévu d’aller jusqu’à 10 tomes. Là, je suis sur l’écriture du 8. On a déjà la trame générale, on connait les périodes, les thèmes que l’on veut mettre. C’est à partir du 6 qu’on a planifié un peu tout ça. Au-delà du fait qu’on a eu un petit essoufflement, on ne savait pas trop si la série fonctionnait, on se demandait si on allait en faire un autre après ou pas, il y avait ce flou. Avec Nicolas, on s’est posé, on avait besoin aussi de savoir où l’on allait. On était naturellement parti sur deux tomes par ans, mais on se questionnait, s’il fallait ralentir le rythme, s’il fallait continuer. C’était important pour moi dans mon écriture, mais aussi pour Nicolas, pour avoir une vision de son métier à côté. L’équipe de Jungle a réfléchi de son côté et aux vues du rythme de la série, comment elle prenait, ils nous ont proposé de tabler sur 10 tomes. Ce qui nous a permis de mieux savoir Comment allait finir la série, sur quelle période, et comment caler les tomes entre eux.

N. O. : C’était une demande qu’on commençait à faire, car effectivement on signait les tomes les uns après les autres, ils nous disaient que la série avait l’air de prendre, donc nous on continuait le taff, pas de soucis. Mais c’est vrai qu’arrivé à un certain stade, on a développé des fils narratifs, avec des personnages qui sont partis, est-ce qu’on les fait revenir etc. Si c’était pour finir une série en queue de boudin, ça aurait été dommage. On a commencé à les solliciter pour avoir une visibilité un peu plus globale, pour savoir jusqu’où on amène tout ça. Comme ça, on avait un peu de marge pour mieux projeter.

F. D. : Ça permet aussi de ne pas faire une série trop longue ou les gens finissent par se lasser. L’univers est tellement large qu’on pourrait faire vingt tomes, mais au bout d’un moment il y aurait des redites, des volumes moins intenses, moins denses, parce que moins d’action sur certaines périodes, ou très redondants aussi. Donc 10 tomes c’est très bien, ça permet de mieux voir sur la durée. Par exemple, ce qui arrive à Edmond va être continué sur les autres albums, ce qu’on ne pouvait pas forcément se permettre de faire quand on faisait du tome par tome. J’ai aussi tendance à glisser des petits indices, de distiller des informations pour pouvoir m’en resservir plus tard et je ne pouvais pas le faire au début de la série, parce qu’on ne savait pas où on allait. Ça permet en effet de construire une trame bien plus cohérente.

Tout à l’heure vous précisiez que chaque volume traite d’un thème en particulier par rapport à la guerre, que ce soit les jeunes juifs qu’on aide, la résistance… D’ailleurs dès le début, avec l’évacuation des œuvres d’Art, vous montrez bien que la guerre ça n’est pas juste une question de combats… C’était dans les intentions de bases quand vous avez proposé la série ?

F. D. : Oui, à l’origine, nous voulions mettre l’accent sur les petites actions résistantes, les évènements dont on ne parle pas dans les manuels pédagogiques parce qu’on n’a tout simplement pas le temps. Ce n’était pas « raconter » la seconde guerre mondiale d’une autre façon, mais s’en servir comme toile de fond pour parler de la vie quotidienne des français de l’époque, leur vision des choses, des petits aspects… De parler des tirailleurs sénégalais, des femmes résistantes, les arrestations, les mouvements étudiants, des thèmes qui ne sont qu’assez peu vus, ou à peine survolés parfois à l’école. Un tome pour chaque thème, avec même parfois plusieurs thèmes dans le même album. C’était notre volonté initiale, oui.

En plus, même s’il s’agit d’une série « jeunesse », vous n’hésitez pas à montrer qu’il peut y avoir des français collabo, qui puissent avoir des positions plus ambigües, ce n’est pas ultra lisse à ce niveau-là. Mais ce n’est pas moralisateur. On comprend que c’est la guerre, que c’est compliqué.

F. D. : Voilà, il n’y a pas cette volonté de vouloir justifier, de vouloir toujours donner un côté moralisateur à l'histoire, ce n’était pas le but. On a des évènements, tout le monde fait ses choix, surtout à cette époque. On veut juste montrer qu’effectivement, il y avait des moments où ça n’était pas facile, d’autres ou il valait mieux ne rien dire plutôt que se battre, c’était plus simple. Agir c’était aussi prendre de gros risques, il y a plein de choses, comme le fait aussi qu’il y avait des allemands qui n’étaient pas toujours méchants, on le voit à travers des petites histoires, qu’il y en avait qui remettaient en cause ce qui se passait.

N. O. : Tu l’as dit aussi tout à l’heure, la guerre ça n’était pas que les combats, l’Histoire comme on nous la raconte, avec les grands mouvements de troupe, etc. C’était aussi la succession de plein de petits gestes. Un gars qui fait péter tel rail de train, qui empêche une livraison d’armes, ça a autant d’importance qu’une troupe qui va se battre sur le terrain. La notion de résistance, c’est aussi ça, ces gens du quotidien qui se débrouillaient et parfois par le biais de petites actions qui peuvent paraître anodines, où on peut se demander à quoi ça sert de sauver des tableaux en plein conflit… Ça fait partie de cette idée de résistance à l’ennemi, préserver tout ce qui fait un pays, son unité… C’était ça l’objectif…

F. D. :  Distribuer des tracts, écrire des chansons, faire des V sur les murs… Des gestes qui sont importants à montrer, tous les aspects de la résistance avec un grand R.

C’est l’essence de la série comme je l’ai perçu de mon côté. Se dire qu’en effet, la guerre ce n’est pas que « Il faut sauver le soldat Ryan ».

F. D. : Si c’est ce qui passe, c’est parfait. Mais après c’est aussi la vision adulte. Les enfants, quant à eux, voient le côté Action, et c’est aussi important, les ados du Réseau Papillon qui font attention, le risque qu’ils prennent, des fois inconsidérément. Et à la deuxième lecture, un peu plus adulte, de rajouter des petits éléments, comme des affiches, des personnages historiques qu’on voit en arrière-plan, le chant des partisans qu’on a dans le tome 4, des détails que seuls les adultes vont peut-être voir. Des faits historiques dont on ne parle pas mais que l’on glisse dans la série de temps en temps, pour capter le regard adulte.

En substance, j’ai l’impression que la série rebondit sur ce que l’on voit actuellement autour de nous, ces jeunes qui relèvent le poing, qui refusent de se laisser faire par ce monde d’adulte. C’était une volonté de votre part de sortir des créneaux type « Club des cinq », de montrer un groupe d’ados qui progressivement sont de plus en plus impliqués ?

F. D. : Disons qu’à la différence du « Club des cinq » où il n’y a pas de temporalité, on a l’impression qu’ils ont toujours 13 ans, malgré les 70 volumes qui sont sortis, il y a ce côté où ils grandissent. J’ai été enseignant, et on étudie trois fois la guerre dans le programme scolaire. En CM2, avec une vision d’enfant, en 3ème, avec une vision de collégien, où l’on va parler plus facilement des camps etc. Et au lycée où l’on va aborder davantage l’aspect psychologique, humain de la guerre. Eh bien, nos personnages font la même chose, en fait. Ils abordent tout ça comme des enfants, en 1940, puis ils se posent des questions, ils évoluent, ils comprennent plus de choses sur la réalité. Néanmoins, il n’y a pas de volonté de coller à l’actualité. C’est vrai qu’on a voulu leur donner une vision plus moderne qu’ils n’avaient pas forcément, pour que les jeunes lecteurs d’aujourd’hui puissent se retrouver dans ces personnages, malgré le fait que ça se passe en 1940.

N. O. : Mais c’est intéressant. De toute façon, c’est la jeunesse qui se dit à un moment « J’existe aussi, ça n’est pas parce que j’ai 14 ans que je ne peux pas agir », qu’on soit en 1940 ou en 2023, souvent ce sont les circonstances externes qui amènent ces prises de position. Les jeunes ont besoin d’ouvrir leur gueule et de changer le monde dans lequel ils vivent, c’est pour moi le principe même de la jeunesse. C’est cette énergie de rébellion, de transgression, de vivre pleinement tout ça. À 14 ans, on est invincible. Qu’ils soient en plein conflit armé ou qu’ils réagissent par rapport à des politiciens, c’est les mêmes ressorts, c’est se dire à un moment « C’est nous l’avenir ».

Le Réseau Papillon - Tome 7 Les rails de la honte

Le Réseau Papillon - Tome 7 Les rails de la honte © Éditions Jungle, 2023

Le Réseau Papillon c’est complètement ça, de toute façon.
Sinon, c’est peut-être plus anecdotique, mais le fait que ça se passe en Normandie, même si symboliquement c’est un territoire qui ramène forcément à la guerre, au débarquement, il y a une idée derrière, vous êtes normands, tous les deux ?

F. D. et N. O., en riant : Non pas du tout !

F. D. : Il y a une idée très pratique derrière ce choix. Effectivement, la grande majorité des combats ont lieu par-là, c’était un haut lieu de résistance, très occupé par les allemands aussi. C’était un lieu ou stratégiquement il y a plein de choses qui se sont déroulées, qui restait un village un peu perdu qui n’a pas énormément souffert par rapport à aujourd’hui, pour permettre à Nicolas de pouvoir dessiner plus facilement et ne pas aller se taper des tonnes d’images d’archives de villages des années 40. En plus, on n’est pas très loin de la zone Sud pour aller vers Bordeaux… Ça me permettait de faire évoluer les personnages en dehors de leur village. C’était une grande réflexion, je voulais vraiment que ça soit en zone occupée, je n’avais pas envie d’aller vers Lyon, par exemple, ou il y a aussi eu de grands évènements, pas tout de suite, même si ensuite on a abordé des sujets comme Jean Moulin. Je voulais rester dans le rural, dans un lieu où il y avait de l’action, des allemands stationnés, même si on le voit bien c’était surtout la police ou la gendarmerie qui agissaient.

Oui, ça donnait du corps pour développer des choses. En plus ça n’est pas hyper loin de Paris, ça permet de faire des passerelles pour développer des récits qui se passaient plus vers là-bas, comme ça a été le cas dans les deux premiers albums ou dans le dernier.

F. D. : On essaye de les faire bouger de temps à autre, d’alterner des moments un peu plus dans le village avec d’autres où ils partent. Scénaristiquement, c’est intéressant de changer les lieux, on se demande comment ils vont pouvoir se rendre d’un point à l’autre. Nous on va mettre une heure et demi en voiture, mais si eux ils le font en vélo, parce que les voitures en 40 il n’y en pas tant que ça, ça va leur prendre cinq heures. Il y a cette temporalité avec laquelle on est obligé de jouer. Ce sont des contraintes qu’on se rajoute, mais qui sont intéressantes à travailler.

Oui, parce que ça parle de l’époque, malgré tout.
Tout à l’heure, vous évoquiez, tous les deux le fait qu’il y avait des gamins qui viennent réagir. Vous avez eu des interventions en classe pour parler des albums, en tant qu’auteurs ?

N. O. : Oui, j’en ai fait

F. D. : Moi aussi, récemment, pour les 48 h de la BD, dans la région. C’est toujours un vrai bol d’air d’aller dans des classes à la rencontre de nos lecteurs. On est collé à notre table, à notre ordinateur, tout seul, la majorité du temps, et c’est bien d’avoir un retour précis des enfants, de ce qu’ils aiment, ce qu’ils n’aiment pas, d’en discuter, de voir comment ils voient la série.

Il réagit à quoi le lecteur de la série, il est réceptif à quels éléments ? Au contexte historique, à l’évolution des personnages auxquels il s’attache, aux thèmes ?

F. D. : Majoritairement l’action, je dirais.

N. O. :  Ça dépend un peu des âges aussi. C’est compliqué de faire des généralités comme ça. Il y en a qui vont tiquer sur un personnage. Je vois des gamins, quand je leur demande, en ouvrant un album, quels personnages ils voudraient que je leur dessine, tu vois à quel perso ils s’identifient, après tu développes le truc en discutant avec eux. Le côté aventure est indéniable par rapport aux plus jeunes, l’interaction entre les persos qui sont finalement assez attachants. Puis quand ils sont plus adultes, ils réagissent davantage au récit global. Quand tu as des gros fans de BD, c’est plus l’analyse du dessin, du scénario, des couleurs, des choses comme ça… C’est assez varié… Pour rebondir sur ce que disait Franck, c’est vrai que quand tu poses des questions aux gamins, ils ont très peu de filtres en général. Quand ils ont un truc à te dire, ils te le disent, c’est assez agréable. Je suis quand même assez surpris de l’intérêt qu’ils peuvent avoir sur cette période, ça les interroge beaucoup. En plus, là, tu as le parallèle avec la guerre en Ukraine, une situation similaire qui n’est pas très loin, ils voient des images, entendent des choses, le fait qu’ils rebondissent là-dessus c’est intéressant. Avoir un vrai retour concret, avec des gens qui vous parlent, vous sourient, c’est toujours enrichissant. On se dit que les petits fils qu’on lâche à droite, à gauche, les gens s’y accrochent.

Les personnages sont vivants de toute façon.

N. O. :  Oui, c’est le but. Animer des personnages de papier c’est toujours compliqué, passer des émotions, des sensations, qu’ils aient peur, qu’il y ai une petite amourette… Ça fait partie du petit sel qu’on cherche à trouver quand on fait ce métier.

F. D. : Qui montre aussi qu’il n’y a pas que la guerre, qu’ils ont une vie. C’est le thème central, la vie de jeune à l’époque, qui allaient à l’école, comment ils supportaient la guerre, comment ils allaient pour l’aborder. On essaye de mettre plein de choses, des fois ça fonctionne, des fois moins, c’est le propre de tout récit, avec des moments où on se demande si on aurait pu traiter les choses différemment… Mais on est content du résultat, tous les deux.

Merci à tous les deux.

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