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Benoit Prieur présente son nouvel ouvrage à Quais des Bulles 2024

Bonjour Benoit, alors aujourd’hui c’est la sortie d’A propos d’Anna

Benoit Prieur : Oui, l’album sort officiellement à l’occasion de Quai des bulles (24 octobre 2024)

Tu peux nous parler un petit peu de cet album ?

B.P : Bien sûr, alors c’est un album dont le scénario a été travaillé il y a un peu plus de deux ans.

Anna, c’est une histoire contemporaine qui narre le quotidien étonnant de trois femmes qui sont dans la trentaine, qui vont avoir des vies sur le fil sur tout le déroulement de l’album. Pour servir cette histoire, on avait besoin impérativement d’un dessinateur qui savait très bien dessiner les femmes, c’était important. C’est pour ça qu’au départ j’étais parti sur Antonin Gallo que je connaissais bien, avec qui j’avais déjà travaillé, mais comme il ne s’est pas trouvé disponible pour ce projet, on s’est tourné vers Cosimo Ferri qui est déjà bien connu dans le milieu de l’érotisme, et qui a un trait très sensuel. On (Les sculpteurs de bulles) avait sorti un portfolio de lui il y a quelques années, le contact a été très facile. Je lui ai fait lire l’histoire, il a tout de suite adhéré et il a commencé assez rapidement ensuite.

À propos d'Anna

© A Propos d'Anna : B. Prieur/C. Ferri‌ - Les Sculpteurs De Bulles, 2024

Avec A propos d’Anna, on est dans un récit psychologique, absolument pas érotique dans l’esprit.

B.P : Exactement, c’est pas du tout un livre érotique. C’est un album avec un emballage sensuel, dans lequel on va s’intéresser à la femme en tant qu’être complet, mais aussi au corps de la femme, à sa psychologie, tout autant qu’au parcours de ces trois jeunes femmes qui va être assez atypique. Alors c’est difficile d’en parler, car Anna c’est un thriller, mais c’est surtout un gros mystère. Le lecteur, à mesure qu’il va lire l’histoire, va comprendre des choses, certaines ne sont volontairement pas cachées, d’ailleurs, car ça n’est pas un livre à devinette, c’est un livre dans lequel on suit un fil narratif qui va être un peu surprenant, mais dont l’intérêt réside vraiment dans la manière dont les personnages vont réagir par rapport à ce que la vie leur amène.


Quand on commence la lecture, on ne se pose pas réellement de questions, on suit les trois destinées, on se dit qu’elles sont très différentes les unes des autres, mais qu’à un moment donné, les récits vont peut-être se croiser, mais même quand on commence à percer un petit peu le mystère de l’album, on se laisse très vite emporter, qu’importe si on devine des choses, on est sous le charme de l’aspect profondément intimiste de l’album.

B.P : C’est vraiment un récit réflexif extrêmement intimiste.

Sur quelle base es-tu parti pour ton scénario ?

B.P : A propos d’Anna c’est un récit qui se confronte à quelque chose que j’ai connu, non pas personnellement, mais dans mon entourage très proche, une situation qui s’est passée à un moment donné et qui aurait pu évoluer de plein de manières différentes. L’album se veut donc être une digression par rapport à ça. L’expérience du vécu par rapport à certaines situations, on se dit quelques fois « Et s’il y avait eu ça à la place… Et si ça avait évolué autrement » … Et donc Anna c’est vraiment un « Et si… » qui envisage des pistes de lecture multiples par rapport à une problématique.

Comment as-tu voulu définir ces femmes dans ce parcours intimiste, elles sont quand même très différentes les unes des autres ?

B.P : Ce qu’il faut savoir, c’est que j’aime avoir en Bande Dessinée des personnages qui soient incarnés, qui ont des histoires profondes, des vécus, des familles, des buts, des objectifs, des douleurs, des peines, des secrets, qui sont des personnages vivants. Que ce soit dans Les Chroniques de Louise Pembleton, que j’ai fait avec Djief, dans A propos d’Anna, dans Les buveuses de thé que je fais avec Stéphan Agosto ou dans Malena K. avec Antonio Palma, les personnages sont extrêmement fouillés, toujours, ça m’intéresse de bien travailler cet aspect du scénario, je n’ai pas envie d’avoir des personnages lisses, ni, ce que je vois trop souvent en bande dessinées, des personnages très fades qui ne servent qu’à une histoire qu’on pourrait presque raconter avec d’autres personnages… Et dans Anna, ça n’est pas possible. Ce qui était intéressant avec ce récit, c’est justement de pouvoir se confronter à des points de vue très différents et voir à quel point, à partir d’une même situation effectivement on peut partir vers plein de directions différentes. J’ai donc creusé la psychologie des personnages en partant de l’idée que l’une d’elles allait, par rapport à cette situation, vouloir tout extérioriser, une autre vouloir beaucoup intérioriser et une autre allait vouloir oublier la situation et totalement profiter de son corps, être dans une approche ou la situation était complètement mise de côté et ou c’était l’aspect charnel, organique, animal de l’être humain qui prenait le dessus. Donc trois positionnements très différents par rapport à une même problématique.

On a trois femmes qui à un moment donné décident de s’explorer, mais de manière totalement différente.

B.P : Et qui cherchent toutes, à travers le propos de l’album, à se réapproprier leur existence, leur quotidien, leur individualité, leur relation aux autres, à la vie en générale, à leur corps. C’est important aussi dans l’histoire ce lien au corps. C’est pour ça qu’on avait besoin d’un dessinateur qui sache exprimer la sensualité. Encore une fois, dans l’album, il n’y a pas d’érotisme vraiment.

Ben Prieur : Benoit Prieur présente son nouvel ouvrage à Quais des Bulles 2024

© A Propos d'Anna : B. Prieur/C. Ferri‌ - Les Sculpteurs De Bulles, 2024

Le dessin de Cosimo Ferri est particulièrement juste à ce niveau-là, tout en retenu par rapport à une limite à ne pas dépasser. Même par rapport à des scènes qui sont plus évocatrices qu’autre chose, comme cette scène avec une femme allongée ou il n’y a rien de plus que le charme qui émane d’elle. Est-ce que tu as donné des « consignes » à Cossimo ?

B.P : Oui, il y en a eu. Il faut préciser que sur Anna j’interviens en tant que scénariste, mais aussi en tant qu’éditeur, et j’ai des demandes particulières. En tant que scénariste, je voulais qu’on reste dans le propos et dans le ton de l’histoire et donc j’avais volontairement limité Cossimo qui avait tendance à aller presque naturellement vers l’érotisme. Je lui rappelais alors « souviens-toi, cette histoire est bouleversante, c’est une histoire psychologique qui certes s’intéresse à la réappropriation de son corps par une femme, mais ça n’est jamais une histoire érotique… », il ne faut pas oublier le propos. Anna c’est avant tout un récit extrêmement grave, et là ou effectivement il ne faut pas tromper le lecteur, c’est que l’on a une enveloppe sensuelle pour un récit très dur.

Même si l’on peut voir dans la première partie, ces trois femmes qui partent sur des envies qu’elles veulent réaliser, il y a un côté que l’on pourrait presque trouver léger si l’on ne comprend pas cette gravité qui s’installe petit à petit.

B.P : En fait on ne sait pas pourquoi elles font ça, c’est à dire que l’on suit des morceaux de vie de personnages qui ne vont pas avoir des conduites vraiment inappropriées, mais inhabituelles, que l’on va suivre en les trouvant un peu singulières et en effet elles ont chacune leur singularité. Mais tant qu’on n’avance pas dans l’histoire on ne comprend pas pourquoi elles ont ces singularités et petit à petit elles vont réellement se révéler.

À propos d'Anna

© A Propos d'Anna : B. Prieur/C. Ferri‌ - Les Sculpteurs De Bulles, 2024

Dans ton écriture, progressivement tu glisses des petites pointes de gravité. On sent qu’il y a une tension, des secrets, des choses que l’on devine, qu’on commence à rassembler, qui viennent plus en profondeur.

B.P : Dans la narration, il y a des éléments qui sont disséminés à mesure que l’histoire évolue. Le lecteur a des pistes pour aller vers des fins possibles, il rentre lui-aussi dans le jeu. Il se dit que ça pourrait être ci, ça pourrait être ça. Il y a une sorte de jeu de piste qui fait partie de l’expérience de lecture de cet album.


Quelle est ton actualité, en dehors d’À propos d’Anna ?

B.P : Alors, aujourd’hui, j’ai terminé l’écriture du tome 2 des Chroniques de Louise Pembleton, sur lequel Djief est en train de travailler. On devrait avoir fini la globalité des planches pour le Printemps et sortir l’album pour l’Été, normalement. On a aussi Antonio Palma qui travaille sur le premier Dossier d’enquêtes de Malena K. qui est un album qui, comme tous ceux qu’on a fait dans la collection Empreinte des Sculpteurs de Bulles, a été porté via un financement participatif, de manière à pouvoir nous aider à la production de ces albums qui sont vraiment des créations pures. Antonio avance dessus, et on l’aura l’année prochaine aussi.

Ensuite on a Stéphan Agosto, qui est un garçon que j’ai débauché pour travailler avec moi. C’est un parcours assez étonnant. Stéphan a travaillé pendant 20 ans dans l’illustration ou il est extrêmement bon, à l’aquarelle, en couleur. Je l’ai appelé un matin en lui disant que j’avais un scénario à lui proposer en couleur directe, 72 pages… Il me demande de quoi ça parle, je lui dis qu’il est question d’une femme qui a le cancer. Il est surpris, il me répond que ça n’est pas banal, ça n’est pas dans ses univers habituels. Je lui propose de lui envoyer l’histoire, qu’il la lise et qu’il me rappelle après. Il l’a donc lu, il la fait lire à sa fille, à sa femme, il m’a rappelé en me disant que tout le monde était d’accord, il fallait qu’il le fasse… Il a été bien secoué par l’histoire, ça a fonctionné. Il bosse dessus, on aura l’album en fin d’année prochaine. 72 pages en couleur directe. Un récit très grave, mais très solaire aussi.

Sinon, je viens de finir la campagne participative pour Daemon, avec Nico Tamburo, une création en trilogie ou tétralogie, qui commence au milieu des années 80, avec des influences fantastiques, mythologiques, mystiques, beaucoup plus dans l’aventure.

Je travaille sur beaucoup d’autres choses, j’ai les deux prochains Malena K. à boucler, on commence un livre avec Igor Kordey dont j’ai publié déjà pas mal de choses auparavant, je lui ai scénarisé un album qui s’appelle Les étranges tribulations de Jezequel Providence qui parle d’un métis, de vaudou et de la guerre de sécession.

Il aime bien les univers un peu tordus.

B.P : On a de quoi faire, on va bien s’amuser tous les deux.

Et pour finir, j’ai déjà fini le Louise 3, je suis sur le 4.

C’est une série que tu prévois sur du long court ?

B.P : C’est une série qui fonctionne en diptyque. Au premier album, on commence en 1985, avec une femme qui est au bout de sa vie et qui va raconter ses mémoires. Le tome 1 commence 60 ans plus tôt, elle est toute jeune, elle commence dans la vie professionnelle, le premier diptyque traite des années 1925 – 1930, le second abordera les années 1930 – 1932, le troisième est déjà prévu, on va continuer comme ça de traverser le vingtième siècle. Une relecture qui aborde l’Histoire, la politique, le monde artistique et l’émancipation féminine dans cette période.

Ben Prieur : Benoit Prieur présente son nouvel ouvrage à Quais des Bulles 2024

© Les Chroniques de Louise Pembleton : T. - La Pension de Miss Daisy : B. Prieur/Djief - Les Sculpteur

Comment le public a-t-il reçu ce premier album ?

B.P : On a tiré 1800 exemplaires de l’album en avril, et on a déjà vendu 1000, sachant qu’on vend en direct, pratiquement pas en librairie, c’est un très beau score, d’autant qu’on a eu de très bon retour de lecteurs qui attendent le second avec impatience. Et la belle victoire qu’on a eu aussi c’est qu’il faut savoir que c’est un album entièrement en sépia, éditorialement, c’est pas forcément vendeur, d’après les « grands éditeurs », de plus la thématique est très féminine, là ou dans la bande dessinée le lectorat féminin n’est pas encore très important, et en fait en salon, on a environ 80 % de lectrices sur ce premier volume et parmi elles on a plein de femmes qui n’achètent jamais de BD et ça c’est très chouette. Elles accompagnent leur mari en festival, elles flashent sur la couverture, elles viennent nous voir, nous demandent de quoi ça parle, et quand on leur raconte, elles disent que ça leur plait, qu’elles ont envie de lire l’album. Louise c’était notre premier challenge ou l’on se disait qu’on allait sortir des bouquins qui ne sont pas habituels. Anna c’est la même chose, ça n’est pas un album ordinaire qu’on trouve en librairie facilement.

On sent dans ces deux albums qu’il y a des partis pris graphiques et scénaristiques, qu’il n’y a pas de compromis.

B.P : Il n’y en aucun, en effet. Les Sculpteurs de Bulles c’est une association de BD, le but du jeu c’est que l’on puisse payer nos auteurs, le fonctionnement est bénévole. L’idée dans tout ça c’est qu’il n’y a pas d’entrave, on est libre. Quand je choisis les artistes avec lesquels je veux travailler, c’est principalement parce que j’apprécie leur style, je ne suis pas là pour les censurer, ni pour leur dire ce qu’ils doivent ou ne doivent pas faire, on discute de la thématique de l’album, je corrige leur storyboard par rapport à la direction narrative quand je suis scénariste, ensuite ils font leur boulot, ils sont professionnels et ils se font plaisir. Aujourd’hui on a une production qui se lisse de plus en plus, dans laquelle on ne peut plus montrer plein de choses, et ça n’est pas l’idée que j’ai de la bande dessinée, je veux faire quelque chose de très ouvert et je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas parler de certaines choses.

D’autant qu’on peut très bien en parler sans forcément aller dans le trash ou le polémique, plus subtilement. C’est un peu l’idée dans Anna aussi, parler d’un thème très dur tout en l’abordant de façon très accessible.

B.P : La petite pirouette sympa avec Anna, c’est aussi que les gens vont ouvrir cet album en se disant que c’est beau, il y a des femmes, c’est un peu sensuel et après quand ils vont achever la lecture, je serais curieux d’avoir leur avis, l’expérience va être différente.

Si je reprends ma position de lecteur, quand tu finis l’album, tu le refeuillètes en repensant à ta lecture du début. Au-delà même du mystère, il y a des choses dans le parcours des personnages, il y a quand même quelque chose qui fait que tu comprends certains éléments, certaines décisions différemment. C’est un album qui fait réfléchir, mais aussi sur notre regard sur ces femmes, mais aussi sur l’écriture, tout simplement.

Merci Benoit.

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