ZOO

Ardalén, vents de mémoire

couverture de l'album Ardalén, vents de mémoire

Éditeur : Casterman

Scénario : Miguelanxo PradoDessin : Miguelanxo Prado

Genres : Récit de vie, Sentimental

Public : A partir de 18 ans

Prix : 24.00€

  • ZOO
    note Zoo5.0

    Scénario

    5.0

    Dessin

    5.0
  • Lecteurs
    note lecteurs5.0
    1 note pour 0 critique

Le synopsis de l'album Ardalén, vents de mémoire

Chamboulée dans sa vie personnelle et professionnelle, Sabela se rend dans un village des montagnes de Galice, sur les traces d’un ami de sa famille. Mais sur place, sa rencontre amicale avec un vieil homme solitaire, Fidel, va bientôt bouleverser les projets de la jeune femme. En dépit de l’hostilité et de la jalousie de certains villageois alentour, l’un et l’autre en viennent rapidement à s’échanger confidences et souvenirs. Leurs récits s’entremêlent et la mémoire impétueuse de Fidel, qui invoque souvent l’univers coloré de Cuba, semble parfois acquérir la texture du réel : l’évocation de sa fiancée d’autrefois Rosalia, de son ami Ramon disparu dans un naufrage, d’une mystérieuse fée qui lui fait écouter la mer dans un coquillage, et jusqu’à ses visions du chant des baleines, qui lui apparaissent parfois à l’orée de la forêt, poussées par le vent… Rythmée par des visions oniriques et de nombreuses réminiscences...

Lire le synopsis

Passé décomposé

Si Sabela vient retrouver Fidel, c’est dans l’espoir qu’au creux de sa mémoire se trouve un peu de trace de son propre grand-père, jadis parti loin de sa famille. Entre la jeune femme et le vieil homme s’instaure un doux dialogue qui tente de reconstruire le passé.

Sabela arrive à un moment dans sa vie ou tout semble lui tomber dessus. Elle vient de se séparer de son compagnon, de perdre son travail… Alors qu’elle attend des retours de quelques récents entretiens, elle décide de retrouver ses racines, et plus particulièrement les traces de son grand-père qui a quitté sa femme et ses filles pour partir pour les Caraïbes. Elle a entendu dire qu’il avait un ami qui aurait vécu dans un petit village perdu dans les montagnes. Elle s’y rend, sans trop bien savoir où tout ça va la mener, elle pose des questions, un groupe d’hommes croisé au bar du coin lui parle du vieux Fidel qui raconte ses voyages aux Amérique. Intriguée, Sabela part à la rencontre du vieil homme et découvre un rêveur qui perd petit à petit la mémoire, mélangeant les souvenirs, ceux d’un ami appelé Antonio, son imagination et ses rêveries d’aventures. Elle l’écoute, se prend d’amitié pour ce solitaire qui croit voir des baleines nager au-dessus des arbres, qui parle à ses vieux fantômes. De son côté, il apprécie que cette jeune femme l’écoute respectueusement, elle vient le voir chaque jour pour partager un café, pour discuter. Cela fait bien évidemment jaser les plus médisants qui commencent à faire circuler des ragots. Comme ce Tomas qui raconte que Sabela serait là pour les sous de Fidel, qu’il ne faut pas la laisser faire ses petites manigances. Tandis que se tisse une belle amitié, le passé se mêle au présent, Sabela s’interroge, Fidel se souvient-il vraiment de tout ça, a-t-il réellement connu son grand-père, n’a-t-il pas perdu tout simplement l’esprit…

Les rêves de plusieurs vies

Il est possible, loin dans les terres, d’avoir l’impression de sentir la mer qui se glisse dans l’air. Cela vient de l’Ardalén, un vent du large qui souffle très loin, qui entraîne avec lui une douce odeur de sel marin, et peut-être même les souvenirs de ces marins disparus au loin. Depuis qu’il est petit, alors qu’il aime se perdre dans les cartes de pays étrangers, ce souffle glisse entre les cheveux de Fidel, lui évoque un fantasme de voyage, de tragiques naufrages, de pays lointains ou les femmes dansent devant les hommes, en les envoûtant. Maintenant qu’il est vieux, que sa mémoire cassée est sa seule compagne, Fidel aime rejoindre l’orée des bois, le vent dans les cheveux, à observer le ciel. Le vieil homme vit désormais dans un monde refuge peuplé de quelques fantômes qui lui rendent visite, lui rappelant d’hypothétiques moments partagés, des amours perdus…

Te rappelles-tu ?

Ardalén nous parle de la mémoire, de cet équilibre fragile où l’on peut parfois perdre ses repères. En marge du récit, il nous offre quelques extraits de textes plus techniques qui témoignent de théories, d’expériences faites sur cette matière mnémonique. C’est réellement très intéressant, cela nous permet surtout de mieux comprendre la personnalité de Fidel, ce qu’il traverse et le rapport qu’il peut entretenir avec son passé et ses souvenirs. Si le dialogue qui s’instaure entre lui et Sabela est progressivement envoûtant, c’est qu’il évoque un lien fantasmé avec notre propre mémoire et tout ce que l’on recréé pour lier ou exalter des moments que l’on voudrait garder plus vivants que jamais. Et c’est toute la finesse de l’écriture de Prado qui, malgré tout, ne cherche pas à tout expliquer, ou tout rendre le plus clair possible. Il laisse une marge d’incertitude qui ajoute au charme de cette lecture, un peu comme il a pu le faire auparavant avec Trait de craie.

Le magnus opus ?

Quand Ardalén est sorti, en 2013, on n’avait plus entendu parler de Prado depuis son sublime film d’animation en couleur directe, De Profundis en 2007 et du livre illustré qui en a résulté en 2008. On y découvrait des ambiances maritimes, une mystérieuse femme, isolée dans une maison, sur une minuscule île, tandis que son compagnon, artiste, sombrait avec son bateau, croisant des sirènes, en sombrant dans les abîmes. On retrouvait cette poésie tout en retenue, cette sensualité toute douce. Ce fut une véritable surprise de le voir revenir avec ce volumineux album de 256 pages.

Dès les premières planches, on plonge dans un récit qui prend son temps, c’est lent, poétique, nous glissons dans la mémoire d’un homme qui tente tant bien que mal de recoller les morceaux de ses souvenirs. Les cases sont sublimes, elles obligent à s'arrêter pour se perdre dans un trait, dans une touche de couleur, dans un geste artistique… Avec Ardalén, Prado déploie toute sa virtuosité graphique, impalpable, presque inaccessible. Il joue sur les flous, sur les masses de couleur où se reflète la lumière, les silhouettes se glissent sur un chemin, dans l’entrebâillement d’une porte… Des portraits d’une extrême finesse, dans le regard desquels se dessine toute une vie. Le récit reste très accessible et d’une très grande subtilité. Il n’y a pas de grands héros, juste des individus qui veulent exister pour ce qu’ils sont. L’artiste transcende cette atmosphère qui s’étiole, au rythme d’un petit village anonyme. 

Ardalén

Ardalén © Casterman

Toutefois, Prado ne se suffit pas uniquement de ces ambiances, il nourrit son récit de micro-intrigues plus terre à terre, captivantes. Petit à petit, il précise son univers, donne de la texture au passé des uns et des autres, mais, à chaque fois, on reste dans le propos de l’histoire, dans une vraie cohérence, dans ce qui fait avancer le récit. Par exemple, on ne sait pratiquement rien de Sabela, à part quelques rares petites confidences, sa présence est entièrement au service de l’album. Et c’est par ce qu’elle vit avec Fidel, par ses questions, qu’elle prend du relief et progressivement influe sur le récit lui-même. 

Certainement le plus bel album de Miguelanxo Prado, avec Trait de craie, plein de sensibilité, qui nous transporte dès le début et ce jusqu’à la toute dernière case. On retrouve cette patte si personnelle, un ton légèrement mélancolique, beaucoup de nostalgie, transcendé par un travail graphique exceptionnel. 

Étrangement disparu du catalogue Casterman, à l’heure où cet article est écrit, Ardalén reste malgré tout un chef-d’œuvre de la bande dessinée.

Haut de page

Commentez et critiquez

1200 caractères restants