Bleu amer

Une île sous le joug de l’Occupation, des habitants silencieux, l’arrivée fracassante d’un soldat américain, un dilemme philosophique qui se profile... Dans leur première BD Bleu Amer, Sylvère Denné et Sophie Ladame nous happent dans un huis clos qui prend aux tripes dès les premières pages.

1944. Dans les îles Chausey, les paroles et les sourires se font aussi rares que les visiteurs étrangers. Mais c’était sans compter ce soldat américain, que Pierre retrouve échoué sur la grève. Sous la protection du pêcheur taciturne et les soins de sa femme Suzanne, le convalescent va rompre le calme du quotidien insulaire. Alors qu’un bateau de ravitaillement approche, les villageois sont divisés par un choix cornélien : faut-il livrer le soldat pour le salut des habitants ou bien le dissimuler à la vue de l’occupant au nom de la dignité humaine ?

Trahison, rapport à l’inconnu ou instinct de survie : une vague de thèmes déferle au fil des chapitres pour donner de l’épaisseur à ce huis clos philosophique. Malgré le décor historique, ces questionnements trouvent un écho dans notre actualité, tout en dressant un portrait juste et nuancé d’une humanité face aux heures sombres. Les planches sont taiseuses mais révèlent quelques dialogues témoignant de la gouaille de Sylvère Denné.

En donnant à son premier scénario des allures de carnet de voyage, le scénariste fait un choix sur mesure pour Sophie Ladame et son talent de carnettiste. Son crayonné vif, ainsi que ses aplats de bleu et de banc immortalisent sur papier kraft son regard fort et poétique. Chaque bout de roche, chaque goutte d’écume, chaque homard, chaque jeu de regards semble avoir été calculé pour mieux faire avancer le récit et narrer les tensions qui ont court sur l’île.

Contempler les planches de Bleu Amer, c’est comme contempler les profondeurs abyssales de l’âme humaine. Un voyage dont on revient transformé...