Papa

Des têtes en forme d’ampoule ! Voilà comment pouvaient se distinguer les personnages tellement particuliers qu’une jeune créatrice faisait naître sur le papier. Aude Picault, conteuse, débuta sa carrière l'année de son obtention du diplôme de l’École nationale supérieure des arts décoratifs. C’était en 2005. En effet, Moi je fut d’abord publié à compte d’auteur. Avant que l’éditeur Warum ne produise une version plus accessible. Et, c'est fin 2006, que l’album intitulé PAPA sort chez l’Association.

C’est à Jean-Christophe Menu que revient cette initiative éditoriale. En effet, Aude Picault, orpheline d’un père qui se suicida, venait de lui présenter la succession d’illustrations qu’elle avait formée. Exutoire et processus vital indispensable, le travail menait la jeune femme au questionnement. C’est alors que le responsable éditorial de l’Association, découvrant ce cri de douleur et d’amour, suggéra l’hypothèse d’une édition. Ainsi naquit cet ouvrage d’exception, réédité depuis.

Créée en 1992, l’Association témoignait de son indépendance face au conformisme honni et au classicisme du genre. Gaufrier (N.D.L.R alignement strict des cases sur la page) et récits d’aventures « à la papa » n’étaient pas de mise ! Un coup de rébellion générationnelle frappait le petit monde des BD, une fois encore… Sans doute pas la dernière. Tous les artistes s’y trouvaient respectés pour leur individualité. Ainsi, l’on vit s’épanouir des récits fantaisistes, surréalistes et autobiographiques, genre qui devint une remarquable locomotive pour cet éditeur.

Aude Picault considère y avoir accompli sa véritable entrée en bande dessinée en côtoyant des personnalités à l’influence bénéfique. Se positionnant jusqu’alors en tant qu’illustratrice, elle conçut une nouvelle légitimité à œuvrer dans ce média de l’art séquentiel.

PAPA se présente sous la forme d’un petit livre d’un centimètre d’épaisseur. Illustrations pleine page et textes rares et brefs. Peu de bulles de dialogue. Souvent une illustration à droite sans vis à vis sur la page précédente. Il s’agit d’une succession d’évocations visuelles puissantes, fortement symboliques, incitant à la contemplation autant qu’à une forme de descente en soi. Voilà que ce récit nous emporte dans le maelstrom de la stupeur, de l’effroi d’une douleur sans nom. Là où la raison objective n’est rien … si ce n’est « la mort ». Le « pourquoi » demeurant à jamais un mystère que l’évocation de l’être vivant ne parvient pas à éclairer.

Ce récit brut d’une intensité émotionnelle fluctuante au gré des moments, se déroule comme autant de cris du cœur que de prières jetées sur le papier. Jusqu’au final et à la maturité acquise. 

Loin d’être morbide, cet ouvrage intime relève de l’acte courageux qu’est le témoignage. Un acte remarquable par lequel Aude Picault trouve sa voie dans le milieu de l’art.