Pianiste virtuose, adulé dans toutes les grandes salles de concert internationales, compositeur aussi prolifique qu’inspiré, Alberto est en mode survie depuis le décès de son épouse, Giulia, emportée par un mal probablement héréditaire. Il ne cesse de remuer les souvenirs d’un bonheur perdu, incapable de surmonter son deuil. Premier album de Luca Russo traduit en français, Nocturne vénitien vient littéralement illuminer, telle une brillante étoile, le firmament du 9e Art.
Alberto se remémore le premier séjour passé ensemble sur une île à la fin d’un été, leur coup de foudre pour Venise où ils se marièrent et s’installèrent. Tant la cité des doges que sa bien- aimée ont constitué pour lui une source d’inspiration et de création inépuisable. Mais Venise seule ne suffit pas à combler le vide laissé par la disparition de Giulia. Alberto a beau arpenter ses rues et revisiter les galeries des musées parcourus ensemble, rien n’y fait. Le misanthrope, un tableau de Bruegel l’Ancien, vient lui rappeler que toute beauté et toute joie sont éphémères.
Cette introspection dans le travail de deuil impossible d’Alberto est rythmée par des images d’errance, tantôt dans des paysages sylvestres baignés d’une lumière fantastique, tantôt au cœur ou au large de la Sérénissime où dômes et campaniles se profilent sous un ciel nocturne tourmenté et où les intérieurs des palais vénitiens prennent des allures de mausolées.
Cette élégie aux accents parfois surréalistes est remarquablement mise en scène avec de grandes vignettes sans cadre, alignées dans une progression quasi onirique d’une remarquable fluidité. Un travail exceptionnel sur les cadrages et la lumière participe pleinement à l’ambiance sombre de ce récit. Après la récente révélation de Barbara Baldi, également très influencée par la peinture, il semblerait que la bande dessinée italienne recèle encore de fort beaux trésors à découvrir.