La Philosophie du Crime
Quand un spécialiste de l’Histoire de l’Art tue gratuitement, est-ce de l’Art sous la forme de crimes ou des crimes déguisés en œuvres ? Antonio Altarriba, le scénariste de Moi, As
27 mars 2015
-Interview
Keko, Antonio Altarriba, Alexandra Carrasco
Éditeur : Denoël Graphic
Scénario : Keko, Antonio AltarribaTraducteur : Alexandra Carrasco
Collection : Denoël Graphic
Genres : Roman Graphique
Prix : 21.90€
Scénario
5.0Dessin
5.0Adrián Cuadrado est conseiller en communication du Parti Démocratique Populaire, force dominante de l'échiquier politique espagnol vouée à la corruption, aux magouilles financières, aux coups tordus, à la manipulation des consciences et des suffrages. Roi du storytelling, Adrián est l'un de ces spin doctors chargés de produire la lumière qui illuminera le meilleur profil d'un candidat, en fera un produit désirable pour les électeurs. Menteur par vocation, par profession et par nécessité conjugale, il est l'heureux détenteur d'une double vie, entre son épouse et ses deux enfants à Vitoria, et sa maîtresse torride à Madrid. Pour l'heure, sa mission est de faire entrer dans le grand bain national le jeune élu local Javier Morodo, dont l'homosexualité assumée offrira un gaywashing au Parti, trop longtemps accusé d'homophobie. Tâche élémentaire pour Adrián, que vient compliquer la découverte inopinée de trois têtes coupées de conseillers municipaux...
L’auteur espagnol Antonio Altarriba a su, en quelques romans graphiques, marquer les esprits, tant comme auteur complet que comme scénariste. Avec Moi, Menteur, il clôture sa Trilogie du moi dessinée par Keko chez Denoël Graphic. Celui qui vous ment? Un conseiller politique espagnol au réalisme glaçant.
Adrian Cuadrado est conseiller en communication pour le Parti Démocrate d’Espagne. Quels que soient les événements qui touchent le parti, c’est lui qui élabore les stratégies et les éléments de langage pour y répondre. Et quand ledit parti s’avère mêlé à de très nombreuses malversations, cela procure beaucoup de travail. Et oblige à plonger dans les pires bassesses.
Le Parti Démocrate, cela n’existe pas, en Espagne. Les deux principaux partis sont Le Parti Populaire et le Parti Socialiste Ouvrier Espagnol. C’est la meilleure illustration de la distance prise par le scénariste avec l’Espagne réelle.
Mais il ne faut pas s’y tromper. Les détournements sont volontairement trop légers pour que l’on ne reconnaisse pas les tourments de la vie politique ibérique au travers de cette histoire. C’est la politique politicienne, que charge sans empathie pour elle Altarriba.
De ce point de vue, le scénariste parvient à nous glacer le sang. On note par exemple une scène de négociation entre les dirigeants de l’Union Européenne et le pouvoir espagnol qui fait froid dans le dos. On espère ce genre de séquence inventée, car si elle était réelle, elle serait juste terrible du point de vue démocratique. Mais Antonio Altarriba aime à cultiver le flou entre réalité et récit. Alors à nous de nous demander pourquoi cela nous semble si réaliste.
N’oublions pas que cette trilogie du moi suppose une analyse d’un caractère humain très particulier. Adrian, dans le cas présent, incarne donc le mensonge de la Communication, cette trahison de la vérité pour l’aménager et la rendre supportable. Il incarne aussi l’absence d’engagement de ces «techniciens» qui se déconnectent de la morale pour soutenir l’un ou l’autre camp et dire l’inverse de ce qu’ils avaient pu écrire auparavant. On sent en filigrane la vision politique du scénariste. Par l’individu, il parle en fait des comportements humains et des idéaux que ceux-ci pourraient chercher à défendre pour redonner du sens à leur vie citoyenne.
Pour l’accompagner dans cette triple histoire dont tous les fils se nouent, Altarriba a travaillé avec le dessinateur Keko. Un artiste qui semble presque travailler au blanc sur papier noir, tant l’absence de couleur imprègne son travail. Un choix idéal pour accompagner la plongée dans trois âmes perdues, qui incarnent tout ce que l’humain peut aussi vouloir combattre.