On reconnaît généralement aux « petits éditeurs » de labourer les chemins de traverse pour faire découvrir des ouvrages ou des auteurs différents. Les éditions Alifbata viennent de remplir parfaitement cette mission en éditant en France un recueil de nouvelles en BD réalisées par un collectif tunisien. Un album pour découvrir de nouveaux talents et des expressions différentes.
Automne 2016. Une résidence collective a eu lieu à Tunis sur le thème « dessiner l’exil ». Des auteurs et autrices venus de toute l’Afrique du Nord et du Proche-Orient ont rencontré des migrants présents en Tunisie pour recueillir leurs mots et les retranscrire par le biais de la Bande Dessinée. Des histoires vraies, mais transmises sans le filtre de nos points de vue européens.

Les auteurs ont rencontré des migrants en Tunisie pour recueillir leurs mots
© Alifbata, éditions 2021
Des auteurs et autrices à faire migrer d'urgence
Prenons le temps de citer les artistes engagés dans ce LAB619, qui produit l’œuvre originale : Migo, Kamal Zakour, Abir Gasmi, Sid Al Dekar, Nadia Dhab, Nidhal Ghariani, Nada Dagdoug, Zineb Benjelloun, Barrack Rima, Somar Sallam, Moez Tabia et Othman Selmi.
Pour en connaître un parmi tous, il vous faudra une culture BD pointue. Mais bonne nouvelle, vous n’aurez pas le même besoin pour découvrir leur travail. Et il y a des productions très différentes qui sont proposées.
Migo, propose un dessin très orienté BD reportage. On pense bien sûr à un Guy Delisle. Kamal Zakour offre, lui un dessin plus torturé, plus tranchant, qui n’est pas sans rappeler Gipi. Son travail du trait blanc sur fond noir, rappelle la tradition européenne des cartes à gratter qu’il porte fort joliment. Somar Sallam joue de ka texture du papier et de la finesse des lavis gris ou colorés pour exprimer une grande sensibilité.
Chaque artiste mériterait un mot particulier, indéniablement. Nous sèmerons juste ici les graines de la curiosité en espérant vous donner envie de découvrir ces talents qui mériteraient pour beaucoup des contrats de publication en Europe.
La Tunisie face aux migrations
Les pays du Maghreb tiennent une place particulière dans les mouvements de migration. Ils passent souvent pour les pays les plus stables de la région. Pourtant, les déplacements de population ont continué bien au-delà de la colonisation française. Et s’il y a les mouvements des Tunisiens, des Marocains, il y a aussi leurs rapports à celles et ceux qui migrent via leur pays.
Ces différents artistes n’hésitent pas à confronter les Tunisiens à leurs propres démons. Othman Selmi se place dans une narration qui, en plus, pourrait tout à fait convenir à des paroles européennes. Le parallèle est troublant et fort bienvenu.
Tout n’a-t-il pas déjà été dit sur les migrants et leurs parcours ? La Bande Dessinée franco-belge accueille de nombreux récits sur ce sujet, depuis des années. Mais ici, la force de la proposition réside bel et bien dans la nature de celles et ceux qui écrivent. Le point de vue unique, c’est cela qui rend un récit nécessaire.
Cet album était indispensable.