Ballade pour Sophie (Édition Spéciale)

Les destins croisés de deux pianistes virtuoses, dont la rivalité traverse le XXème siècle, est prétexte au portrait de l’existence tumultueuse, complexe et – semble-t-il - gâchée d’un homme qui n’a jamais fait que l’exact contraire de ce à quoi il aspirait.

Ballade pour Sophie est une symphonie en cinq mouvements, brillamment orchestrée par deux maestros : l’Argentin Juan Cavia au dessin, et le Portugais Filipe Melo au scénario.

On ouvre sur Adeline, journaliste au Monde, venue faire un papier sur Julien Dubois, un atrabilaire reclus qui a eu une immense carrière de pianiste, et dont on se demande bien comment il a pu perdre l’annulaire et le majeur de la main droite. Celui-ci la rembarre, mais Adeline sait se montrer passivement insistante et il va s’ouvrir à elle peu à peu pour lui dévoiler sa triste histoire et sa jalouse fascination pour son rival, Frédéric Simon, « le poète du piano ».

Ballade pour Sophie © Paquet, 2022

Depuis 1933 où ce Julien Dubois, enfant, prenait des leçons de piano avec sa mère qui le rêvait en pianiste de concert jusqu’en 1997 où, vieillard fatigué et malade, il reçoit la journaliste, c’est toute son existence et celle de Frédéric Simon qui nous sont exposées. Car lors d’un concours, leurs routes se croisent et Julien est immédiatement fasciné par le talent foudroyant de Frédéric. Leurs deux vies ne cesseront de s’entrelacer, et même si Julien Dubois connaîtra un très grand succès après avoir signé une sorte de pacte quasi-faustien avec un maître de musique qui va le transformer en pianiste de variétés et machine à cash, toujours il enviera la magie de celui qu’il aimerait bien être.

Bien sûr, il y a beaucoup, beaucoup plus que ça dans ce très beau roman graphique, mais on s’en voudrait d’en dévoiler plus. 

Ballade pour Sophie © Paquet, 2022

Melo, qui est aussi musicien, a composé une partition impeccable pour que Cavia puisse l’interpréter avec son immense talent graphique - et aussi son endurance, puisque le livre fait 320 pages. 320 pages d’une lecture réjouissante car tout, ici, est réussite. Les pages sont superbes et inventives, les personnages ont des attitudes justes, les images savent jongler entre réalisme et poésie, le traitement des scènes musicales est surprenant et judicieux. L’histoire nous happe pour ne plus nous lâcher, depuis l’apparition progressive de la résidence de Julien Dubois à la première page jusqu’à la splendide case finale. L’intrigue file à un tempo soutenu, les destins mêlés des deux virtuoses sont bourrés de trouvailles. Ballade pour Sophie fait partie de ces livres qui fleurissent en vous et vous accompagnent longtemps.

Ajoutons un dernier compliment pour un roman graphique qui en mérite tant : ses malicieux auteurs l’ont aussi parsemé de petits détails qui en rendent la re-lecture presque encore plus agréable.