Forgotten Blade

Au commencement, il y eu le voyageur. C’est Le Patriarche, l'unique, celui qui offrit à la Terre, la Pierre des Origines. Il créa ensuite les cinq rivières qui permirent au monde de grandir, d'évoluer. Gloire au Patriarche…

L’album commence bien des siècles plus tard. Le culte du créateur est au centre de cet univers et la Devineresse Tenna et ses troupes d'inquisiteurs sont là pour perpétuer la rigueur de sa parole et de son enseignement. Après la mort de ses deux enfants, assassinés par cette inquisition despotique, la jeune chamane Noa vient trouver le grand guerrier Ruza "Le crasseux" pour lui demander de tuer le Patriarche et renverser ainsi cette autorité séculaire liberticide.

L’histoire d’une épée, d’un guerrier, d’une mère

Bien qu’on puisse avoir l’impression que l’intrigue soit assez convenue au premier abord, les auteurs enrichissent néanmoins le propos en accentuant le travail de caractérisation des uns et des autres et en posant clairement le cadre. Ils ont ainsi nourri cet univers d’un corpus théologique assez précis, la présence de l’Inquisition et de la Devineresse Tenna est au cœur du récit, des intentions de Noa et des enjeux que se fixent nos héros. Chacun doit ainsi davantage combattre ses propres démons et se reconstruire au contact de l’aventure et des dangers rencontrés.

En contrepartie, Tze Chun, en mettant en scène, sans volonté de cacher le parallèle avec notre Histoire, l'inquisition et ses dérapages tyranniques, s'interroge sur le sens de la représentation divine et son message initial, complètement dévoyés par un pouvoir corrompu par son idéologie et sa soif de puissance. La trame narrative reste particulièrement transparente (présentant la corruption des âmes impures condamnées à disparaître, pour finalement être « libérées » en étant envoyées vers le monde du Patriarche…), le tout exacerbé par la pertinence du développement de l’intrigue et la qualité des échanges entre tous les personnages.

Ainsi l’album surprend par la profondeur de l’écriture qui, sous couvert de nous servir une histoire de guerrier affrontant les forces de l’autorité, nous propose une réflexion sur les croyances manipulatrices.

 Toni Fejzula, un artiste incontournable

 Deux ans après son magnifique album, Patria, déjà publié par Ankama, nous retrouvons Toni Fejzula qui revient en pleine forme dans cette explosion de couleur, avec cette même virtuosité dans les cadrages, dans la construction des planches et surtout dans la beauté purement graphique de l’ensemble. C'est une nouvelle fois un tour de force très impressionnant, que ce soit dans le choix des teintes, dans les textures… tout est leçon de bande dessinée, une maestria enthousiasmante qui donne très envie de le retrouver dans un prochain projet !

Forbidden Blade est une nouvelle fois passé assez inaperçu à sa sortie, alors que l’album fait partie des grandes surprises de ce début d'année. Une lecture vivement conseillée !