Après Dans la forêt, l'auteur rennais Lomig poursuit son remarquable travail en bande dessinée sur la nature, sa richesse et sa préservation. Dans Au cœur des solitudes, il se glisse dans les pas de John Muir, l'un des premiers écologistes, grand aventurier du XIXe siècle. Ce récit naturaliste, dessiné avec précision, est un coffret d'émotions qui ne demande qu'à être ouvert. Un titre remarquable.
Au XIXe siècle, la famille Muir quitte son Écosse natale pour s'installer aux États-Unis. Le jeune John, âgé de 11 ans, survit à la violence d'un père catholique intégriste qui éduque ses enfants en leur faisant rentrer de force la Bible dans le crâne : une éducation à coups de ceinturon. Mais son âme d'aventurier et son amour de la nature vont se construire tout au long de son existence. Il perdra provisoirement la vue à cause d'une machine dans l'usine de roues de chariot où il est ingénieur. Mais quand il rouvrira les yeux, Muir sera capable de voir bien au-delà de son champ de vision : avec son cœur.
Il va passer le reste de sa vie à arpenter le monde. Après avoir repris des études, en particulier de botanique et de géologie, il va faire de ces deux spécialités scientifiques les pierres angulaires de ses recherches. Dans cette bande dessinée qui émerveille autant les yeux que l'esprit, Lomig revient sur les traces du voyage de mille cinq cent kilomètres, entrepris par Muir du Kentucky à la Floride, alors que les plaies de la Guerre de Sécession, qui vient d'avoir lieu, sont loin d'être cicatrisées. Après s'être marié et avoir eu deux filles, l'Écossais va prendre le temps de se poser pour goûter aux joies de la vie de famille… pour mieux repartir : au Canada, en Europe, en Arctique, en Afrique, en Amérique du Sud...
Au cœur des solitudes, c'est le parcours d'un homme qui, tout en restant tourné vers les autres, voue son existence à la nature. Il réfléchit aux actions qu'il peut mettre en œuvre pour la préserver, devient ami avec de nombreuses personnalités, rencontre, à sa demande, le président Roosevelt. Ce dernier, après avoir passé avec lui une nuit à la belle étoile dans le parc national du Yosemite (qui à défaut d'être la seconde maison de Muir, est en réalité plutôt son habitation principale), déclarera que l'Écossais est l'homme le plus libre que le président des États-Unis ait jamais rencontré.
Graphiquement, Lomig a construit son style, sa marque de fabrique. Ses paysages qui s'étalent parfois sur la page entière, ce qui n'est pas un luxe quand on dessine aussi bien un séquoia, sont un canevas où l'on découvre et apprécie chaque point. Goûter à l'eau de ses rivières, se frotter le dos à l'écorce des multiples variétés d'arbres, se poser, réfléchir. Se dire que la nature qui nous entoure est un cadeau divin qui nous échappe. C'est tout cela, et tellement plus encore, que nous donne à voir et ressentir cette extraordinaire BD. Un vraie respiration, à relire quand l'air vient à manquer.