En 1980, Hayao Miyazaki commence Le Voyage de Shuna. Inspiré du conte thibétain Le Prince qui fut changé en chien, il rêve de l’adapter en anime mais finit par en faire un emonogatari, un livre illustré à mi-chemin entre le livre d’aquarelle et le script de scénario…
En 1980, Hayao Miyazaki imagine Le Voyage de Shuna en parallèle de Nausicaa de la Vallée du vent, après la publication du récit Le Peuple du désert, en 1969. L’influence des peuples d’Asie centrale y est forte et ses préoccupations entre humanité et nature traversent déjà son œuvre. Le Voyage de Shuna, publié en 1983, propose un juste milieu entre ses inspirations philosophiques et ses préoccupations humanistes.

© Le Voyage de Shuna, Hayao Miyazaki © pour l’édition française Éditions Sarbacane, 2023 Copyright
Le nœud entre Homme et nature
Le Voyage de Shuna s’inspire d’un conte sur la rencontre entre le Thibet et l’orge, aujourd’hui aliment de base de la région. Un prince vole un grain d’orge au Roi Serpent, ce qui lui vaut d’être changé en chien puis sauvé par une jeune fille. Le Voyage de Shuna raconte comment un prince d’une vallée pauvre vole une graine dorée aux êtres divins. Ayant perdu la raison, il est finalement sauvé par une princesse qu’il a lui-même secouru plus tôt. Si le conte originel est un récit sur la reconnaissance des Thibétains, Le Voyage de Shuna porte déjà les stigmates des univers de Miyazaki.

© Le Voyage de Shuna, Hayao Miyazaki © pour l’édition française Éditions Sarbacane, 2023 Copyright
L'anti-héros d'un maître du conte écologique
Contrairement à ses successeurs, Shuna n’est pas un sauveur. Le prince évolue dans un monde en perdition, où les hommes marchandent la vie d’autrui. On trouve une forme de violence similaire dans Nausicaa ou Princesse Mononoke, mais jamais aussi absolue. Dans Le Voyage de Shuna, il n’existe pas de bienveillance, ni chez les alliés du héros, ni chez Shuna lui-même. Il existe simplement en lui une forme de témérité égoïste qui le pousse vers l’avant.
Le Voyage de Shuna décrit un monde de commerce entre les hommes et la Terre. Shuna incarne les efforts que les humains ont déployés pour améliorer leur environnement malgré les mises en garde de la Nature, ici incarnée par le divin. Dans un cas comme dans l’autre, il n’y a ni justice ni bonne réponse. À bien des égards, Le Voyage de Shuna est le récit le plus impitoyable de Miyazaki.

© Le Voyage de Shuna, Hayao Miyazaki © pour l’édition française Éditions Sarbacane, 2023 Copyright
Porté par les images
Cette forme d’emonogatari nous permet de profiter pleinement de l’univers graphique. Le récit repose sur des cartouches de narration ponctuées par de rares bulles de dialogue. Les illustrations couleurs s’étalent en vastes paysages. On retrouve dans ses images, pourtant sans traits de vitesse indiquant le mouvement, des actions dynamiques grâce à la parfaite maîtrise des postures anatomiques. Caché derrière le masque de l’animateur, Miyazaki est un grand dessinateur.
Le Voyage de Shuna, pour la première fois édité en France, est au cœur du royaume de Miyazaki. Ses inspirations, ses préoccupations et son talent graphique s’y concentrent d’une manière plus viscérale que nul part ailleurs.
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