Pour la première fois depuis les deux premiers Chariot de Thespis en 82, Christian Rossi revient en auteur complet sur cet album virtuose, au cœur de l’Ouest sauvage, dans les traces d’un jeune apache exilé de sa propre tribu.
Le premier contact avec l’album est d’abord graphique. On découvre des cases muettes, le paysage est aride, les teintes sont ocres, jaunes, lumineuses, on sent la chaleur du soleil. C’est le désert, des chevaux s’aventurent entre les rochers, les cavaliers scrutent le moindre des recoins, à l’ombre de leur sombrero…
On glisse dans le récit en écoutant les confidences du héros, Woan, qui nous raconte petit à petit comment il en est venu à se faire répudier par sa propre tribu, forcé de vivre désormais en solitaire, de se débrouiller pour survivre par ses propres moyens, alors qu’il n’était qu’un jeune adolescent inexpérimenté.
On l’observe sous le vent, la pluie, chassant, buvant aux sources qu’il trouve. Il apprend à la dure.
Golden West
© Christian Rossi - Casterman
Chaque rare rencontre qu’il fait ensuite est essentielle, elle correspond à une étape importante qui l’amène à évoluer. Que ce soit Lozen, l’énigmatique guerrière à la beauté farouche, au caractère indépendant ou bien le célèbre Geronimo et ses combats passionnés, ils symbolisent chacun à leur façon une certaine facette de l’identité indienne qui montre combien le jeune homme est divisé. Que choisir, qui suivre ? En le regardant partir avec Geronimo pour un de ces énièmes raids contre les « visages pâles », Lozen est silencieuse… Peut-être aurait-elle souhaité qu’il reste un peu plus sur les sentiers, à ses côtés… Les regrets sont muets, les regards évocateurs.
En avançant au fil de l’album, Woan grandit, devient un jeune homme qui survit en toute autonomie. Il incarne cette pensée indienne, généreuse et sage, qui observe et s’harmonise avec son environnement. Avant de rencontrer Geronimo, il restait en retrait dans grandes causes de son peuple, évitant de croiser la route des voyageurs, des colons ou des mexicains. Mais on sent bien qu’il ne pourra pas les éviter bien longtemps avant d’y être confronté. Toutefois, adulte, il retrouve sa tribu, se marie, se lance dans des causes qui l’éloignent un peu de ce qu’il peut être profondément. L’aventure est lancée.
Golden West
© Christian Rossi - Casterman
Au sommet de son art
On est assez vite interpelé par l’écriture extrêmement fine et profonde de Rossi, qui raconte par l’image, par les mots, par les silences et les non-dits ce parcours captivant, en marge des grandes sagas vengeresses, pleines de leçon d’Histoire. Il adopte le ton de la confidence, le jeune Woan nous murmure le récit, insiste sur certains moments clés, sur certaines étapes, sans pour autant tomber dans le plaidoyer amer et moralisateur. Rossi s’émancipe en finesse des codes narratifs conventionnels, ne tombe pas dans le piège des romances trop classiques, ne nous propose pas non plus de déroulé trop téléphoné. L’intrigue se déploie tranquillement, lui permettant de ciseler ses mises en scène, de travailler ses cadrages, sans charger de texte superflus, ni de sensationnalisme gratuit.
Tout est au service de cette virtuosité graphique où pointent l’audace et un sens de l’esthétisme très exigent. L’exemple parfait d'un classicisme digéré avec beaucoup de sensibilité et d'intelligence au fil des albums. On se souvient encore des volumes de W.E.S.T, de Tiresias, La Gloire d’Héra, du Artbook Chevauchées, du sublime Le cœur des Amazones. Chaque étape est une nouvelle évolution d’un style. La marque d’un maître.
Golden West, c’est certainement l’album où Rossi est le plus intimiste, le plus personnel, démontrant ainsi que même s’il reste l’un des grands dessinateurs de la BD, il demeure surtout un narrateur hors pair.