La position du tireur couché

Cette histoire de tueur aux amours contrariées est globalement immersive, avec des textes off bien ficelés et de dialogues bien tournés, soutenue par le dessin en noir et blanc de Tardi, mais elle fait des pas de côté surprenant sur la fin.

Sans revenir aux livres de poche en bd des années 80, à la mise en page forcément refaite avec plus ou moins de bonheur, les rééditions en petit format de bd reviennent au goût du jour. Avec l'envolée du prix du papier, l'inflation et l'envie de (re) découvrir des bandes dessinées issues d'un patrimoine plus ou moins récent, un marché (de niche ?) s'offre en effet. 

La position du tireur couché est l’adaptation par Jacques Tardi de l'ultime roman de Jean-Patrick Manchette. Le petit format met en valeur le dessin en noir et blanc du dessinateur, dont le trait est ainsi affiné. Que l'on soit dans les rues de Paris ou près d'une baraque paumée dans la forêt, l'ambiance est au rendez-vous. Bien sûr, tous les personnages ont les sourcils froncés et les yeux mi-clos, mais cette marque de fabrique de Tardi est raccord avec l'histoire parce que la plupart des protagonistes ont du souci à se faire.

La position du tireur couché © Futuropolis, 2023

Martin Terrier est un jeune tueur professionnel pas très intelligent mais tenace et méthodique. Il veut se ranger des affaires : avec son pécule, il n'aspire qu'à retrouver la femme à qui il a promis 10 ans plus tôt qu'il reviendrait la chercher. Mais l'officine qui l'emploie ne l'entend visiblement pas de cette oreille. Et bien sûr, la belle ne l'a pas attendu, elle s’est mariée. Puis tout déraille : Terrier est rattrapé par son passé.

Le message, pessimiste, est que les pauvres n'échappent pas à leur condition : d'origine modeste, Martin a voulu "réussir" mais il finit comme son père. Et le système, aux mains des puissants, fait que les gens du peuple sont des pions manipulés. On a déjà lu ça dix fois, mais l'écriture directe teintée d'un certain cynisme de Manchette fonctionne bien. Du moins les deux premiers tiers du récit, jusqu'à ce que Martin devienne aphasique et que l'on verse dans... on ne sait quoi. 

Sans avoir de l'empathie pour ce tueur, on aurait bien aimé bien qu'il soit un peu moins loser, quand même...