La réalité dépasse parfois la fiction, comme nous le prouvent les péripéties de ce couple de célébrités sud-coréennes qui s’est retrouvé au centre d’un thriller ubuesque complètement improbable.
Le 22 janvier et le 19 juillet 1978, l’actrice coréenne Choi Eun-hee et le réalisateur Shin Sang-ok sont respectivement enlevés et sont amenés en Corée du Nord auprès de Kim Jong-il, fils du dictateur Kim Il-sung. L’opération va d’abord consister à les maintenir prisonniers pendant 5 ans, pour les endoctriner dans les règles de l’art, puis les réunir, en 83, afin qu’ensemble, ils puissent produire des films de divertissement pour le compte de leur « hôte ».
Vu comme ça, on pourrait croire à un scénario de série B lambda, mais tout l’intérêt de cette histoire vient justement du fait qu’elle est basée sur des événements qui se sont réellement déroulés.
Le Dictateur et le Dragon de mousse © La Boîte à Bulles, 2024
Récit à deux voix
Fasciné par le cinéma européen et hollywoodien, Kim II-sung, alors responsable des affaires culturelles du pays, compte bien redynamiser la production nationale et l’idée d’en confier les rênes à Shin Sang-ok, qui symbolise un cinéma moderne et audacieux, lui semble assez bonne pour entreprendre de l’enlever. Mais avant cela, il va falloir l’attirer en kidnappant son actrice fétiche, ex-femme de surcroît, Choi Eun-hee. On va donc suivre l’évolution de l’album avec les témoignages successifs de l’un et de l’autre qui nous permettent de mieux comprendre la complexité de la situation et la difficulté de faire bonne figure devant celui qui épie continuellement le moindre de leurs mouvements.
Sans pour autant se perdre dans des détails historiques, les auteurs contextualisent assez adroitement leur propos en replaçant cette collaboration forcée dans l’évolution du cinéma coréen de l’époque.
Le Dictateur et le Dragon de mousse © La Boîte à Bulles, 2024
Cinéma de propagande
Cependant, c’est moins la raison que la méthode qui paraît hallucinante. Après tout, des grands réalisateurs qui ont dû obéir aux diktats de leur gouvernement pour produire des œuvres à visées nationalistes, il y en a eu et il y en aura d’autres. On pense aux évidents Leni Riefenstahl ou Sergueï Eisenstein, mais il suffit de regarder certaines productions américaines pour se rendre à l’évidence, ça n’est qu’un éternel recommencement.
Peut-être que Shin Sang-ok aurait refusé de filmer ce scénario improbable, qui sait…
Article publié dans le Mag ZOO N°96 Janvier-Février 2024