Malencontreusement capturée par Grince-Matin, le croque-mitaine, la petite Blanchette se retrouve dans l’impressionnante cuisine des ogres. Évitant de peu d’être transformée en pâté, la fillette découvre l’envers du décor. Toutefois, elle est bien décidée à ne pas se laisser faire…
Peu après s’être enfuie de chez elle, Blanchette vit désormais dans la rue, avec un groupe d’enfants livrés à eux, survivants des quelques morceaux de pains qu’ils peuvent récupérer deçi delà. Soudain, une silhouette se dessine sur les toits, un énorme sac à la main. Attirant les gamins grâce à un panier de victuailles, la mystérieuse créature enlève les amis de Blanchette qui regarde la scène à l’écart. Elle part alors tenter de les sauver, mais se fait elle aussi attraper.
La Cuisine des Ogres © Rue de Sèvres
Ils se retrouvent tous au marché aux enfants où les différents ogres viennent acheter leur jeune marchandise pour concocter ensuite une multitude de plats pour leur clientèle. Blanchette fait alors partie d’un lot revendu au fameux Breauregret, un cuisinier réputé pour la finesse de ses recettes. Une fois arrivée au cœur de la colline où se tiennent les cuisines, la fillette réussit à s’échapper, trouvant refuge parmi les nombreux serviteurs qui l’affublent du sobriquet de Trois-fois-morte…
Soufflet de petites filles, accompagné de friture de Licorne et de champignons de Paris
Ce premier volume de La Cuisine des Ogres consacré à la petite Blanchette (il devrait certainement y avoir d’autres récits complets, par la suite) nous plonge dans l’univers fascinant des ogres, de leur fourmillantes cuisines où les uns et les autres s’affairent pour préparer des plats appétissants, à base, néanmoins, d’ingrédients qui font dresser les cheveux sur la tête. On suit la fillette qui se faufile entre les plats, qui profite d’une montée de vaisselle sale pour s’échapper.
Dès que l’histoire décolle, on sent que les auteurs s’amusent avec les détails qui pourraient vite glisser vers le glauque, mais qui savent justement rester, avec beaucoup d’habileté, dans un registre décalé, tout en jouant avec cynisme avec le morbide de certaines scènes. Comme ce moment où Beauregret dépèce une Licorne, ou lorsqu’il condamne les compagnons de Blanchette au hachoir.
Ce regard continuellement en décalage donne tout l’intérêt au récit, car il force à rester en retrait de ce qu’on peut découvrir pouvant frôler l’horreur, mais captivant par la richesse graphique qui se déploie devant nous, les mille et un petits détails, ce sentiment de s’immerger complètement dans ce monde souterrain à la fois dangereux, mais emplit de mille et une effluves envoûtantes.
Hachis de chevalier dans son armure, avec sauce aux fruits rouges
Fabien Vehlmann offre une histoire d’ogres pas comme les autres. Il respecte les codes du conte, mais les pousse aussi jusqu’au bout, au point où tout cela devient le décor d’un récit haletant, plein de rebondissements. Alors oui, il est toujours question de petits enfants qui se font capturer, qu’on engraisse ensuite pour agrémenter de multiples plats… Mais il s’agit surtout du périple d’une enfant qui réussit à passer entre les mailles d’un univers sans pitié, bien trop grand pour elle, mais qui, à l’image d’un astucieux Petit Poucet, transforme ce qui se présente à elle comme une voie sans issue en nouveau départ pour s’affirmer, se reconstruire.
La jeune héroïne comprend parfaitement qu’elle ne doit dorénavant composer qu’avec son intelligence et sa débrouillardise, que physiquement, elle n’est clairement pas à la hauteur dans ce monde de géants qui dévorent les enfants comme elle.
En fait, elle s’inscrit parfaitement dans la grande tradition des contes tels qu’il pouvait y en avoir avec les frères Grimm ou chez Perrault, vecteurs d’une morale essentielle qui enseigne qu’il ne faut pas baisser les bras face aux épreuves de la vie, même celles qui nous dépassent. Vehlmann ne tombe cependant pas dans le discours bêtifiant, Blanchette/Trois-fois-morte est pleine de ressources, elle analyse avec lucidité la situation, repère ce qui peut lui servir et ne se contente pas de sa condition, et s’il faut changer les règles pour s’en sortir, elle est prête à mouiller la chemise.
La Cuisine des Ogres © Rue de Sèvres
Pâté braisé de Phénix sur lit de pommes d’or
Dès les premières pages, on est happé par le rythme de la narration, le scénario est captivant, on tombe sous le charme des diverses caractéristiques et des divers échanges entre les uns et les autres. On est surtout impressionné par la performance de Jean-Baptiste Andreae qui livre, comme à son habitude, des planches à couper le souffle. Les ambiances, le soin porté aux détails, cette finesse d’exécution et cette magnifique technicité font tout le charme de ce fabuleux illustrateur. Un très bel album qui se dévore des yeux avec admiration.
L’excellente surprise du moment, avec deux auteurs au fait de leur Art.