La fille de Rokubei

À l’image de Kinnara, L’Automate céleste et Rakshassas, Le Livre des démons, du même duo, Eduardo Mazzitelli et Enrique Alcatena, La Fille de Rokubei nous emmène dans le Japon légendaire, sur les traces de deux jeunes héroïnes qui croisent des démons et d’autres créatures étranges.

 Yaomi, Nuggu, Togoro, Okima et Watano

Tout commence par la légende de Yaomi, la fille du seigneur Rokubei. Son incroyable beauté est réputée à travers tout le pays. Elle apporte la paix et l’abondance au royaume. Mais un jour, elle attire l’attention du redoutable démon Nuggu qui demande à son père de la lui céder. S’il refuse, le pays perdra progressivement sa prospérité. Bien que désespéré, Rokubei n’est pour autant pas prêt à plier devant l’irrémédiabilité de ces menaces. Il engage les meilleurs mercenaires pour s’occuper du démon avant l’échéance que ce dernier a fixé, mais rien n’y fait… Son dernier recours l’oblige à se tourner vers ses ennemis, les « Hommes derrière-le-Nord » qui vont alors enseigner à la jeune Yaomi leur savoir, afin qu’elle puisse à son tour affronter Nuggu.

Pour la seconde légende, nous rencontrons le démon Togoro qui vient de dérober au riche Yoshiyutaka, une de ses poupées de sel transformée en jeune fille, Okima, qui abrite plusieurs démons en elle. Poursuivis par de redoutables chasseurs aux gros nez, ils fuient à travers le pays avant de finalement tomber entre les griffes du puissant sorcier Watano qui entreprend d’enlever Okima. Togoro et sa protégée vont alors rejoindre la mystérieuse Yaomi et ses Hommes derrière-le-Nord, afin qu’ils leur viennent en aide.

La Fille de Rokubei © iLatina, 2024

Dépaysement total

Mazzitelli et Alcatena proposent un univers complètement atypique, peuplé de démons, de mille et une créatures qui traversent les cases, se glissant silencieusement dans des paysages envoûtants, entre rêve et réalité. On tombe très vite sous le charme de ces ambiances de contes mythologiques qui évoquent des êtres fantastiques maîtrisant la magie, se transformant en animaux, chevauchant des tigres volants, se battant contre des statues géantes, observés par des visages dissimulés dans les rochers… On imagine alors d’autres histoires muettes, dans les recoins des magnifiques planches d’Alcatena, ce sens du détail, de la construction narrative…

On est émerveillé par cette faune bigarrée à la fois pleine de caractère et inquiétante… On entre dans un autre monde, complètement dépaysant.

Et même si, encore une fois, on est impressionné par la virtuosité picturale d’Enrique Alcatena, il ne faut pas en oublier la qualité de l’écriture d’Eduardo Mazzitelli. Il se réapproprie merveilleusement les codes de ces vieux contes qu’il modernise, tout en restant fidèle à l’esprit initial. Il a, de plus, un sens très aiguisé du rythme, avec notamment un très habile découpage en épisodes dans la seconde partie, qui rend le périple de Togoro et Okima absolument captivant.

La Fille de Rokubei © iLatina, 2024

Un inoubliable voyage

Cet album propose un voyage éblouissant évoquant ces histoires que l’on entend enfant, peuplées d’être imaginaires, dans des contrées oniriques, un monde en dehors du notre. L’art d’Alcatena peut s’exprimer librement, animant des vieux bas-reliefs où se battent deux démons, jouant avec la scénographie en mettant en scène l’apparition de géants, dans des atmosphères mystérieuses et hypnotiques.

Est-il encore nécessaire de démontrer davantage le talent sans pareil de ces deux auteurs ? Et, surtout, la pertinence éditoriale d’iLatina qui n’a de cesse de construire un catalogue exceptionnellement cohérent qui continue d’explorer les multiples trésors de la bande dessinée sud-américaine.

Je vous encourage vivement à surveiller les prochaines sorties de l’éditeur.