Giovanni Di Gorgio et Gregory Panaccione nous entraînent dans le quotidien d’un petit garçon qui révèle petit à petit, par un rêve récurent qui le hante, le trauma qu’il n’arrive pas à exprimer, une agression qui l’a laissé sans défense…
Chaque matin, Matteo se lève et comme tous les enfants de son âge, il joue avec son chien, va prendre son petit-déjeuner en rêvant des aventures de Super Faucon. Il rit, il s’amuse et va à l’école, rejoindre ses copains… Cependant, le soir venu, au moment de se coucher, se dresse devant lui sa chambre, avec la lumière vacillante de sa lampe de chevet, ces ombres qu’il ne peut affronter qu’après une énième relecture des aventures des super animaux… Peut-être le protègeront-ils ?
La nuit, quand le noir envahit la pièce, il aperçoit, depuis quelques mois, ce mystérieux Homme en noir qui s’avance, le sourire aux lèvres, qui tend la main vers lui… Matteo est alors suffisamment effrayé pour que chaque matin, il faille changer ses draps. Sa mère s’inquiète, l’amène voir une pédopsychiatre, mais il est compliqué de mettre des mots sur des visions, de faire la part des choses quand l’imaginaire devient un rempart. L’enfant se construit progressivement un univers où « les histoires se terminent bien », avec un copain à qui parler, même si cette silhouette sombre se glisse de plus en plus dans le paysage autour de lui.
L'homme en noir © Delcourt
Le cri muet
L’homme en noir nous plonge dans l’histoire extrêmement émouvante d’un petit garçon qui n’arrive plus vraiment à gérer le traumatisme qu’il a subi l’Été précédent. Le thème des violences sexuelles faites aux enfants est un sujet très délicat, car il rebondit sur une actualité de plus en plus oppressante, ou les voix se libèrent enfin.
Si le cas de Matéo n’est pas unique, il est malgré tout représentatif d’une douleur qui peine à s’exprimer, d’un enfant qui ne comprend pas vraiment ce qui s’est passé, mais qui voit le monde qui l’entoure se draper d’un filtre désillusionné et sombre, où finalement seul l’imaginaire pourra le réconforter.
Giovanni Di Gorgio adopte une écriture particulièrement fine, qui ne se concentre pas sur les faits eux-mêmes, mais sur les émotions de Matteo, sa vision et sa réinterprétation du monde qui l’entoure. Nous découvrons petit à petit la place que prend cette figure énigmatique de l’homme en noir dans cet univers d’enfant, nous comprenons son sens sans pour autant tomber dans le démonstratif inutile. C’est justement toute la subtilité du scénariste qui reste au plus près de ce petit garçon, qui l’écoute, qui tremble peut-être même avec le lecteur en voyant son regard perdu, apeuré. Il n’est pas question de se perdre dans les détails scabreux de la cause, mais dans les désastreux effets et dans les tentatives de Matteo pour s’échapper de ce cauchemar qui le hante chaque nuit.
Graphiquement, Gregory Panaccione est dans la même approche pleine de délicatesse, de retenue. Il reste concentré sur une vision à hauteur d’enfant, hantée par cette silhouette sombre et ricanante.
S’il est aujourd’hui important de rester à l’écoute, de protéger et de mieux comprendre les victimes de ces agressions, cet album montre la complexité qui peut encore découler du besoin de témoigner, de révéler, de simplement parler, pour les victimes.
Je ne saurais assez encourager les lecteurs à se plonger dans ce troublant et touchant volume qui fait réfléchir.