L'oeil d'Odinn

Réputés introuvables en France, les séries Bad Idea arrivent enfin chez Bliss Comics, nous réservant, contre toute attente, de très belles surprises. Plongée fantastique au cœur des mythes nordiques. En ouvrant les premières pages de l’album, on se retrouve quelque part en plein Moyen Âge nordique, à un temps où les dieux côtoyaient encore les humains, où les légendes et la réalité se mêlaient étrangement.

Depuis petite, la jeune Solveig a régulièrement des visions pendant son sommeil. Cette fois, elle se trouve au milieu d’un immense champ de bataille surplombé par le dieu Odin qui l’observe de son unique œil. Il veut lui parler, mais ses mots sont incompréhensibles. Perçue comme une enfant-prophète, elle pense avoir compris que le dieu l’a investi d’une mission, qu’elle doit retrouver l’œil qu’il a jadis sacrifié au puits-de-celui-qui-se-rappelle, afin de permettre à Odinn de mettre fin à l’éternel Hiver qui les frappe et d’empêcher les forces de la nuit de faire sombrer le monde. Pour mener à bien cette mission divine, Solveig est envoyée vers la montagne sacrée, où se trouvent les racines d’Yggdrasil, en compagnie du guerrier Olle et de la sorcière Véléda… Évidemment, le voyage ne se déroule pas comme prévu…

 Bad Idea, la bonne ou mauvaise idée ?

Il se peut que vous n’ayez jamais entendu parler, en France, de Bad Idea, la boîte d'édition créée aux États-Unis en 2019 par Dinesh Shamdasani et Warren Simmons, deux transfuges de Valiant. Dès qu’il est apparu sur le marché, le nouvel éditeur a fait parler de lui, principalement à cause de l’originalité de ses choix en matière de politique éditoriale assez étranges. Il annonçait d’emblée ne sortir ses projets qu’en single (le format initial des comics, des fascicules d’une vingtaine de pages qui sont généralement rassemblés ensuite sous forme de recueils qu’on appelle des TPB (Trade Paperback)), qu’il n’y aurait jamais de TPB, donc en gros qu’il favorisait la sortie en comics shop et non plus en librairie, et donc qu’ainsi, il restreignait le nombre de points de vente (ce qui a amené, par exemple, à ne pas être distribué, ou très peu, en dehors du territoire américain), sans oublier les multiples opérations marketing douteuses comme la diffusion de tickets lors des achats qui permettaient ensuite de recevoir un comics inédit…

À part en passant par des revendeurs américains, il était très difficile de se procurer leurs comics, d’où une frustration grandissante chez de nombreux lecteurs qui n’avaient tout simplement pas la possibilité de se procurer les nouvelles séries de leurs auteurs favoris. Cette amertume n'a fait que gonfler à chaque annonce d'une nouvelle « mauvaise idée » plus farfelue que la précédente (ils ont même proposé la vente d'un exemplaire unique d'un comics « invisible », vendu sous pochette plastique), d'autant que ces sorties impliquaient des auteurs aussi renommés que Matt Kindt, Robert Venditti, Peter Milligan, Tomas Giorello, David Lapham, etc.

Pour conclure sa première période de parution, Bad Idea a annoncé, ce qui s’est avéré être une intox, une fin d'activité en 2021, puis, finalement un retour en force un peu plus tard, avec une seconde vague de titres proposée par pack exclusifs, dont le détail des noms ne serait annoncé que la veille de parution… L’idée était de rebooster un marché du single en pleine déroute, aux États-Unis, et donc de proposer des « coups éditoriaux » principalement destinés au marché américain, mais complètement incompréhensibles pour nous autres Français, plutôt habitués à des publications en album.

Bad Idea arrive chez Bliss Comics

C’est dans ce cadre, donc, qu’en novembre dernier, Bliss Comics a déclaré qu'à partir de 2024 ils se lançaient dans la traduction des comics Bad Idea, à commencer par L'Œil d'Odinn, Pyrate Queen et Eniac, des titres qui vont sortir jusqu'au printemps 2024. On devine facilement que si l'opération marche bien, d'autres propositions devraient suivre.

L'œil d'Odinn © Bliss, février 2024

Pyrate Queen © Bliss, mars 2024

Toutefois, il n'est plus question, ici, d'aller préalablement « condamner » ces titres sous prétexte d’une démarche douteuse de la part de Bad Idea, ces albums obéissent désormais au modèle des autres sorties de Bliss. Ils sont accessibles à tous, en librairie, même si, à priori, il n’est prévu qu’un tirage de chaque album. Avec cette approche, il convient de ne tenir compte que de la qualité de l'œuvre.

De plus, Bliss a vraiment bien fait les choses, le format est plus grand, la couverture avec vernis sélectif, le papier intérieur est plus épais, pour seulement 25 €… On est loin des bizarreries de Bad Idea…

La bonne surprise

D’ailleurs, L'Œil d'Odinn est vraiment un bon choix pour commencer. Une mini-série de très grande qualité, qui nous longe dans une relecture de la mythologie nordique extrêmement dense, avec une écriture riche, pleine de références. Joshua Dysart glisse entre conte, évocation mystique et saga nordique, dans une langue exigeante, un vrai plaisir de lecture qui se dévore d'une traite.

De son côté, Tomas Giorello, magnifiquement mis en couleur par son complice Diego Rodriguez, ne lésine pas en nous offrant des planches très impressionnantes, pleines de détails d’une très grande finesse.

L'Œil d'Odinn © Bliss

On se trouve au cœur d'une légende traversée par de multiples créatures mythologiques, suivant cette jeune fille prophète complètement transcendée par sa destinée, persuadée d’être celle qui pourra aider les dieux à sauver sa réalité.

Une très belle surprise qu’on ne peut que se féliciter de voir enfin arriver en France. Bien que le catalogue Bad Idea soit loin de ne contenir que de véritables perles, soutenons cette initiative !