Un ancien enfant soldat raconte son existence au sein de Daech. Il en résulte un album intense, rude et particulièrement éclairant.
En septembre 2020, dans le Kurdistan irakien, la journaliste Anne Poiret rencontre Mahar, adolescent de seize ans appartenant à la communauté Yézidi, enrôlé de force par Daech durant l’été 2014, alors qu’il n’avait que dix ans. Le jeune homme accepte de raconter le parcours constitué d’entraînements, de bourrages de crâne, de prières et de déplacements qui a fait de lui un « lionceau du Califat ».
Mahar le lionceau ou l'enfance perdue des jeunes soldats de Daech © Delcourt, 2024
Honnêteté et partis pris éthiques
L’une des grandes qualités de cet album est de mettre en perspective, dès ses premières pages, ce dont il est question : dans quel contexte prend place le récit, comment Anne Poiret rencontre Mahar, ce qu’elle lui demande (raconter son histoire) et lui propose (un anonymat total : prénom et visage inventés pour ce récit). Cela suggère une honnêteté et un parti pris éthique essentiels, tenus durant l’ensemble de l’ouvrage. Plus largement, les auteurs se tiennent à bonne distance de leur sujet, l’exposant avec force et finesse. S’ils font référence aux images de propagande réalisées et diffusées par Daech (vidéos d’exécution d’otages qui peuvent épouser les codes de jeux d’aventure télévisés) ou, plus largement, qu’ils représentent la violence et l’horreur, ils évitent toute complaisance à leur égard.
Mahar le lionceau ou l'enfance perdue des jeunes soldats de Daech © Delcourt, 2024
Rythme enlevé et narration fluide
Le rythme enlevé et la narration constamment fluide permettent de combiner aventure vive et compréhension précise des situations et des enjeux. Cette dernière est notamment véhiculée par des données documentaires (faits, chiffres…) qui enrichissent et mettent en perspective le récit de Mahar. Côté dessin, le découpage est dynamique et le trait bouillonnant n’hésite pas à tirer vers le semi-réalisme. Cela contribue à singulariser cet album et aiguise l’intérêt qu’il suscite.
Excellent guide pour suivre et saisir un processus d’embrigadement, Mahar le lionceau est un album particulièrement troublant. En effet, s’il est très précis sur les différentes étapes par lesquelles passe le jeune garçon, il évite les écueils du documentaire didactique et, entremêlant mélancolie et espoir, possède un souffle qui lui est propre.
Haut de page